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« J’essaie de rassurer et d’étonner » - Une interview de Laurent Spielmann, Directeur de l’Opéra National de Lorraine
Tandis que l’on guette avec curiosité la Rusalka de Dvorak selon Jim Lucassen en ouverture de la saison de l’Opéra National de Lorraine, Laurent Spielmann, son Directeur depuis 2001, répond à concertclassic.
Avant d’aborder la nouvelle saison de l’Opéra National de Lorraine et son spectacle d’ouverture, pourriez-vous brosser un rapide « portrait » de l’institution que vous dirigez ?
Laurent SPIELMANN : Je suis à la tête de l’Opéra de Nancy depuis 2001 et il est devenu «Opéra National » en 2006. C’est une maison qui a toujours été très sérieuse, très bien repérée. Du temps d’Antoine Bourseiller par exemple on y a vu des créations de Henze, de Nono ; des choses qu’on ne trouvait pas partout en France. Sous l’ère Blanchard on a eu de très beaux projets, notamment les débuts d’Olivier Py – avec un Freischütz qui a laissé beaucoup de traces dans les mémoires lorraines… Depuis 2006 nous sommes devenus «Opéra National » simplement parce qu’il y a eu une reconnaissance par l’Etat de la qualité de notre travail mais aussi parce que la puissance publique prenait conscience qu’il y avait ici en Lorraine quelque chose qui, avec des moyens supplémentaires, pouvait bénéficier à l’ensemble d’une région.
Un Opéra National a donc été créé à Nancy et un Orchestre National à Metz. Nous arrivons maintenant dans une période où, très probablement et très sympathiquement, l’Opéra-Théâtre de Metz va rejoindre l’Opéra National de Lorraine pour ne plus former qu’une seule maison. C’est l’objectif affiché par les villes concernées et je pense que l’on y parviendra assez vite.
Le budget de l’Opéra National de Lorraine s’élève à un peu plus de 14 millions d’euros ; nous employons un peu plus de 170 personnes (dont un orchestre de 66 musiciens et un chœur de 30 personnes). C’est donc une petite équipe et un opéra de production, ce qui signifie que nos projets artistiques sont pour l’essentiel fabriqués ici.
A partir de cette unité de production, les spectacles circulent ensuite, en France ou à l’étranger. De ce point de vue notre maison fait l’objet de beaucoup d’intérêt, de beaucoup de regards de la profession. De nombreux théâtres s’intéressent à notre travail et souhaitent collaborer avec nous, en devenant coproducteurs ou en achetant nos productions. Un changement s’opère sur le plan international – l’existence d’Opera Europa(1), cet organisme qui regroupe une centaine de maisons d’opéra dans toute l’Europe, en témoigne - ; les échanges internationaux sont de plus en plus nombreux aujourd’hui car les moyens financiers manquent de plus en plus. L’Opéra National de Lorraine fait partie de ces maisons qui sont appréciées car il n’est pas budgétivore et les artistes qui y viennent savent que leur travail est regardé.
Quel est le profil général de la saison 2010-2011 ?
L.S. : Elle comporte sept productions. Il est toujours un peu compliqué d’expliquer le lien qui pourrait exister entre les ouvrages proposés car le travail qui est mené ici s’appuie sur plusieurs saisons, sur des images anciennes et nouvelles. Il y a toujours une raison, passée ou à venir, qui fait que l’ouvrage est donné, ce qui lui permet à la fois de trouver les clefs de l’opéra proposé et de se demander quelle sera la suite. Une espèce de fil invisible entraîne les œuvres les unes par rapport aux autres. La saison qui s’ouvre présente deux aspects importants : ce qui est de nature à attirer un public d’habitués mais aussi de gens qui voudraient découvrir l’Opéra et ce qui relève de la nouveauté, de l’incertitude et qui permet au public d’élargir ce qu’il connaît déjà ou croit connaître. L’équilibre, toujours un peu instable, entre le grand répertoire (Carmen, Les Noces de Figaro, La Veuve joyeuse) et des ouvrages peu joués ou nouveaux : Rusalka, Le Portrait de Mieczyslaw Weinberg, mais aussi Tomorrow, in a year, ce projet que va donner Hotel Pro Forma avec le groupe The Knife. C’est la première fois qu’une maison d’opéra française se lance dans ce type de projet, un peu curieux. On n’y pas affaire à de l’opéra, on est dans une forme qui est une évolution naturelle de l’opéra, ou une remise en cause de celui-ci, ou quelque chose en lien d’une manière ou d’une autre avec l’opéra du XIXe siècle.
Un lien s’établit avec Rusalka ; chose très étonnante car rien a priori ne permettait de l’imaginer. Il vient du fait que le metteur en scène de l’œuvre de Dvorak, Jim Lucassen, a situé son projet dans la Galerie de l’Evolution du Muséum d’Histoire Naturelle, tandis que Tomorrow, in a year se définit comme un « opéra darwinien » sur l’arrivée de l’homme, son évolution et fait donc dans une certaine mesure écho, même si les musiques n’ont rien à voir, à Rusalka. Il y a un deuxième effet induit dans le choix d’Hotel Pro Forma, assez révélateur de ce que nous cherchons à Nancy, c’est l’évolution du langage musical. Cette évolution-là – je ne dis pas que c’est celle qui m’intéresse le plus ou le moins ; je me situe plutôt dans la logique de la curiosité – conduit à s’intéresser au fait qu’une partie des créateurs ne s’appuient plus essentiellement ou uniquement sur des musiques dites « savantes », mais utilisent des processus d’écriture différents (à partir de l’ordinateur, à partir de sons qui ne viennent pas des instruments traditionnels) et mélangent cette forme musicale à d’autres disciplines artistiques. Du coup, on est dans l’Opéra ; dans cette alchimie qui est recherchée depuis que le genre existe. En bref, j’essaie de rassurer et d’étonner
Vous avez choisi de confier Rusalka à Jim Lucassen pour la mise en scène et à Christian Arming pour la direction. Pourquoi avoir retenu ce tandem ?
L.S.: Jim Lucassen est un jeune artiste néerlandais dont on commence à parler un peu partout – ce sera toutefois sa première mise en scène en France. Il a remporté déjà de beaux succès, à l’Opéra de Salzbourg notamment il y a quelques mois. Il est venu nous voir un jour en nous présentant son projet d’une Rusalka située dans la Galerie de l’Evolution. Nous avons été tellement étonnés par son idée que nous lui avons demandé d’aller un peu plus loin dans sa réflexion et nous avons trouvé des partenaires qui avaient envie de travailler avec nous sur cette production : l’Opéra de Montpellier et celui de Bonn. Il y a donc eu un plaisir commun à se lancer dans cette aventure et, tandis que nous approchons des dernières répétitions, je puis vous dire que la distribution (où le rôle-titre est tenu par Inna Los) est heureuse de travailler avec Jim Lucassen car il est très à l’écoute des chanteurs et, avec l’autorité naturelle que le caractérise, il parvient à les convaincre de tout ce qu’il veut faire.
Christian Arming est pour sa part un fidèle de l’Opéra National de Lorraine et une personnalité que j’apprécie beaucoup, d’une grande culture et d’une grande intelligence. Il effectue un très beau travail avec nos musiciens. Je suis très heureux de monter dans ces conditions un ouvrage d’une grande poésie, trop rare sur les scènes, et j’y attache beaucoup d’importance, tout comme au Portrait, opéra d’après Gogol de Mieczyslaw Weinberg, qui sera donné au mois d’avril.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 16 septembre 2010
Pour en savoir plus sur Opera Europa : www.opera-europa.org
Dvorak : Rusalka
(mise en scène : Jim Lucassen / dir. Christian Arming)
Opéra National de Lorraine – Nancy
Le 30 septembre et les 1er, 3(mat.), 5 et 7 octobre 2010
Rés. : 03 83 85 33 11
www.opera-national-lorraine.fr
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