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Joséphine vendue par ses sœurs de Victor Roger par la Compagnie Fortunio – Pharaonique ! – Compte rendu

En sortant de l’Auguste Théâtre, une de ces toutes petites salles comme il y en a tant dans Paris, il suffit de faire quelques pas pour tomber sur une immense affiche annonçant la reprise de la comédie musicale Les 10 Commandements, production annoncée comme « pharaonique ». Et l’on se dit qu’après tout, il n’est pas la peine de rassembler des figurants en nombre et d’aligner des décors monumentaux pour obtenir un spectacle également pharaonique : Joséphine vendue par ses sœurs, que présente cet hiver la Compagnie Fortunio, mérite tout autant ce qualificatif, puisque cette opérette de 1886 parodie l’histoire biblique de Joseph, celle-là même qui avait inspiré à Méhul son plus célèbre opéra et que Richard Strauss allait traiter en ballet.

 

Victor Roger (1853-1903) © Archives Marsick

 
Le compositeur Victor Roger (1853-1903) est aujourd’hui bien oublié, même si son plus grand succès, Les Vingt-huit Jours de Clairette, sut se maintenir à l’affiche au cours du XXsiècle : sa musique est entraînante mais révèle aussi une veine plus sentimentale, et la partition de Joséphine est riche en ensembles trépidants. Et l’homme savait choisir ses librettistes, puisque messieurs Paul Ferrier (montpelliérain comme Roger, il travailla aussi pour Hervé, Offenbach ou Messager) et Fabrice Carré lui ont troussé un livret qui n’a rien de banal.

 

( de g à dr. ) Stéphane Dri, Stéphane Clément & François-Joseph Bourbon © Estelle Danière

Transformer Joseph en fille de concierge dont ses sœurs se débarrassent en la vendant à un harem cairote, il fallait déjà y penser ; mais surtout, à ce prétexte se superpose tout un réseau de références au répertoire opératique, puisque Joséphine prend des cours de chant avec un certain Montosol, leurs amours contrariées étant l’occasion de duos où défilent des allusions plus ou moins évidentes aux titres les plus en vogue, encore aujourd’hui comme Le Trouvère et Lucia di Lammermoor, ou plutôt jadis comme La Favorite, Mignon et Les Huguenots. Le souvenir de la récente Étoile de Chabrier (1877) passe lorsqu’on évoque le supplice du pal, et il est difficile de résister à la coquinerie d’un refrain proclamant « Où y a de l’hygiène, y a pas de plaisir »…
 

Marina Ruiz & Geoffroy Bertran © Estelle Danière

Bref, on remerciera la Compagnie Fortunio d’avoir ressuscité cet opéra-bouffe pharaonique, admirablement servi par les habitués de ses spectacles. La partition est proposée en réduction piano-flûte (bravo à Romain Vaile et à Gaëlle Amice, qui restent cachés pendant tout le spectacle mais obtiennent à la fin la part de saluts qui leur revient), et les chorégraphies d’Estelle Danière complètent parfaitement la mise en scène de Geoffroy Bertran qui transpose l’action dans les années 1950. Les costumes – dont on ne sait à qui il faut attribuer le mérite – y contribuent aussi, transformant Joséphine en clone de Callas puis en princesse orientale. Et parmi les douze chanteurs (plus un rôle parlé), on se réjouit de retrouver quelques personnalités bien connues. Les sœurs de Joséphine devraient être douze, mais cinq, c’est amplement suffisant pour refléter les mérites de la partition de Roger. Xavier Meyrand prête à Putiphar – aucun rapport ici avec celui de la Bible – ses mimiques d’éternel grognon et sa voix haut perchée.
 

Marina Ruiz et Brice Poulot Derache © Augustin Puzio 

Pour rendre le texte un peu moins politiquement incorrect, et pour tenir compte des origines niçoises de Brice Poulot Derache (applaudi en égoutier dans La Botte secrète de Claude Terrasse) (1) , Alfred Pacha est devenu marseillais plutôt qu’auvergnat mais n’y perd rien de sa truculence. Montosol fut créé par le baryton Albert Piccaluga, celui dont Céline fait un ténor dans Mort à crédit, et Geoffroy Bertran trouve ici un rôle sur mesure. Dorothée Thivet campe une savoureuse Mère Jacob et révèle même des talents de danseuse du ventre. Marina Ruiz s’approprie le grand rôle de Joséphine avec toute l’ampleur de sa voix. Mais l’on avoue une préférence pour la Benjamine de Lou Benzoni Grosset, délicieuse ingénue perverse dont on voudrait réentendre la fraîcheur de timbre et la diction parfaite dans bien d’autres rôles d’opéra-comique et d’opérette. 

Laurent Bury
 

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(1) www.concertclassic.com/article/la-botte-secrete-de-claude-terrasse-par-la-compagnie-fortunio-comedie-saint-michel-tout

Victor Roger : Joséphine vendue par ses sœurs – Auguste Théâtre, Paris (6, Impasse Lamier, 75011 / M° Philippe Auguste),  10 janvier ;  prochaines représentations les 11 et 12 janvier à l’Auguste Théâtre, les 24 et 25 janvier à la Halle Pajol, Paris 18 (22 ter, rue Pajol / M° La Chapelle) , puis à nouveau à l’Auguste Théâtre le 7 février 2025 / my.weezevent.com/josephine-vendue-par-ses-soeurs-10-11-12-janv-7-fev /  // https://my.weezevent.com/josephine-vendue-par-ses-soeurs-24-25-janv

Photo © Augustin Puzio

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