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​La Belle Saison – Des projets d’artistes pour un projet d’avenir

 
Le 26 février, le théâtre des Bouffes du Nord accueille Pierre et Théo Fouchenneret (photo) pour une soirée « Hungarian Rock » réunissant les deux Sonates et les deux Rhapsodies pour violon et piano de Béla Bartók. Autant dire un programme emblématique de La Belle Saison. Les deux frères se confrontent là à des partitions particulièrement exigeantes qu’il mûrissent depuis de longs mois. L’approche de ce rendez-vous attendu, dans le lieu à partir duquel s’est développé la projet de La Belle Saison – lieu parisien certes, mais projet le moins « parisien » qui se puisse imaginer – offre l’occasion de se pencher sur cette saison de musique itinérante, lancée en 2013 à l’initiative des Bouffes du Nord, sur une idée d’Olivier Mantei, avec Olivier Poubelle et Jean-François Dubos à ses côtés. Elle fédère aujourd’hui une quinzaine de lieux (1), festivals et salles de concerts pour le plus grand bonheur des férus de répertoire chambriste – et le plus grand profit de ceux qui entreprennent de le découvrir.

 
Conserver la proximité et l’aspect humain
 
C’est à Coulommiers, le 12 janvier, à quelques heures d’un concert Vivaldi donné par Emmanuelle Bertrand, Jérôme Correas et quelques membres des Paladins, que Concertclassic a retrouvé Antoine Manceau, directeur artistique de La Belle Saison depuis l’origine. A ses côtés Jean Bardet, Adjoint au Maire, délégué à la Culture et au Patrimoine de Coulommiers. Quoi de plus naturel que de faire le point sur La Belle Saison à Coulommiers puisque son beau théâtre (de 1904, doté d’une acoustique idéale) compte parmi les lieux fondateurs d’ «un projet qui, constate Antoine Manceau, a montré année après année combien il est essentiel. Il a consisté, en partant des Bouffes Nord, à réunir des lieux adaptés à la musique de chambre (jauge, acoustique) et qui permettent une réelle proximité entre les interprètes et le public. Des lieux qui ont aussi la volonté de travailler ensemble. Avec Le Méjan à Arles et le théâtre de Saint Omer, Coulommiers a fait partir des lieux fondateurs rassemblés autour des Bouffes du Nord. »
 
© Lydia Kasparian

Antoine Manceau, directeur artistique de La Belle Saison © Lydia Kasparian 

 
De l’artisanat à un véritable label de musique de chambre
 
« Nous avons commencé de manière assez artisanale, explique le directeur artistique. Le projet a un peu dépassé notre constat premier et les attentes que nous avions pu initialement identifier ; de l’artisanat nous sommes passés à un réseau institutionnel, à un véritable label de musique de chambre, déterminant pour la défense du répertoire et pour la mise en valeur des jeunes artistes. Nous sommes en train de nous institutionnaliser ; tout l’enjeu est de conserver l’aspect, éminemment humain, de proximité avec les artistes et des artistes avec le public. Et garder la spontanéité et la part de folie que l’on s’octroie parfois dans les projets. »
 

Antoine Manceau & Jean Bardet © La Belle Saison

 
Un éblouissement

 
À présent retraité, mais en ce temps-là enseignant (il a, à une époque, compté un certain Franck Riester parmi ses élèves ...), Jean Bardet se souvient « avec éblouissement » de l’arrivée de La Belle Saison à Coulommiers en 2013. « J’avais été parisien pendant des années et j’ai tout à coup eu le sentiment que des concerts de la même qualité que ceux que j’avais pu connaître à Paris se déroulaient à Coulommiers. J’ai raté au maximum trois concerts en dix ans. Je suis entré en 2020 dans l’équipe municipale, en tant qu’adjoint délégué à la Culture et au Patrimoine, en partie pour la Belle Saison, avec l’envie de défendre cette programmation. Et cet attachement n’a en rien faibli ! »
Attachement qui tient aussi à la complicité humaine que l'élu partage avec Antoine Manceau. À chaque concert de La Belle Saison à Coulommiers, Jean Bardet a pris l’habitude d’assurer avec, en duo avec ce dernier, une présentation des musiciens et du programme. Outre la qualité des interprètes, le public nombreux qui s’est rendu à la soirée Vivaldi du 12 janvier constitue la plus belle récompense des organisateurs.
 

Au théâtre municipal de Coulommiers © Dominique Benoît

 
Travailler la relation entre les artistes et le public
 
« On ne peut pas se satisfaire seulement de l’excellence des artistes et de la force du programme ; c’est insuffisant sur certains territoires, insiste Antoine Manceau. L’objectif de La Belle Saison est de désacraliser la musique de chambre sans compromission artistique, qu’il s’agisse de Mozart, Bartók ou Schoenberg : le seul moyen d’y arriver est de se donner le temps, où que l'on se trouve, de travailler la relation entre les artistes et le public. Le concert devient finalement un moyen, ou un prétexte à tout ce travail en amont et pas l’inverse. »
« En cette matière, Coulommiers est vraiment le berceau de La Belle Saison, et un territoire de référence s’agissant du travail avec les publics. La ville compte trois crèches, des maternelles, trois écoles élémentaires, un collège, un lycée, une école de musique. Nous travaillons avec tous chaque saison afin de monter de projets qui favorisent le décloisonnement. Le travail se répartit sur toute l’année ; les artistes Belle Saison interviennent au moins une journée par mois. Hier par exemple, Emmanuelle Bertrand s'est adressée à des publics empêchés et à des enfants d’une école élémentaire. »
Et Jean Bardet de rappeler l’existence de « L’Atelier du spectateur » mis en place avec le lycée et destiné à des élèves volontaires (on en compte une soixantaine à ce jour) qui ont la possibilité d’assister à une répétition-présentation du programme dans les heures précédant le concert – on a pu juger sur pièce du sérieux et du succès d’un exercice de souriante pédagogie musicale. L’enjeu de l’élargissement et du rajeunissement du public est évidemment essentiel pour La Belle Saison. 
 

La Ferme de Villefavard en Limousin, depuis peu membre du réseau Belle Saison © Ferme de Villefavard
 

Laisser le temps aux projets de mûrir
 
La proximité avec le public dans et autour des différents lieux où s’installe La Belle Saison va de pair avec celle que cette dernière entretient avec les artistes dans la concrétisation de leurs projets musicaux. « Des projets sans aucune compromission artistique, insiste Antoine Manceau. Nous faisons le pari que, quel que soit le territoire, quel que soit son historique en termes de programmation musicale, tout auditeur est apte à ressentir l’émotion à partir du moment où un artiste talentueux et engagé s’adresse à lui. »
« La Belle Saison se limite pas à diffuser des concerts ; son but premier est de créer de nouveaux programmes, si possible déterminants dans la carrière des artistes quel que soit leur âge. Des projets auxquels, parce qu’ils y sont très engagés, ils vont consacrer du temps. Nous les accompagnons sur une période assez longue ; nous étions à six mois au départ, aujourd’hui une saison entière, parfois une saison et demie, deux saisons même pour certains projets, afin de leur laisser le temps de maturation requis. Nous proposons entre 8 et 12 projets par saison. Le réseau Belle Saison est là pour offrir toutes les étapes nécessaires ; chaque projet vit différemment dans le réseau. Pour certains l’objectif ultime est de parvenir à un enregistrement de référence, pour d’autres non. »
 

Le Trio Arnold, au cœur du programme "Métamorphoses" avec Manon Galy, Grégoire Vecchioni, Aurélien Pascal, Laurène Durantel & Nathanaël Gouin. À retrouver les 22 avril (Bouffes du Nord), 13 &14 mai (Cherbourg) © Neda Nevae
 
Le projet avant le programme
 
« Chaque projet est considéré un peu comme celui d’une troupe de théâtre, détaille le directeur artistique. Nous plaçons les musiciens en résidence dans plusieurs lieux Belle Saison – la Maison Messiaen (Isère), la Ferme de Villefavard (Limousin), depuis peu intégrée à notre réseau, L’Académie musicale de Villecroze (Var) à partir de l’année prochaine. Depuis la sortie de la période covid nous créons une économie globale à partir des aides dont nous bénéficions pour parvenir à rémunérer les artistes à chacune des étapes du développement de leur projet. »
Quid de la construction des programme ? «Elle est le résultat d’un processus qui prend beaucoup de temps, confie Antoine Manceau. Le réseau Belle Saison doit être au service de projets forts d’artistes – parmi lesquels beaucoup de jeunes. Cela implique d’être très alerte et au fait de tout ce qui se passe, de tous les jeunes qui émergent, etc., d’être abreuvé de propositions d’artistes. Je vais moi-même écouter énormément de choses, afin de disposer du panorama le plus complet possible. J’écoute aussi les avis de membres de La Belle Saison ayant une casquette de directeur artistique ; c’était le cas avec le regretté Bernard de Launoit (1964-2023) à la Chapelle Reine Elisabeth, et ça l’est aujourd’hui avec Michèle Paradon à l’Arsenal de Metz ou avec Jean-François Heisser au Méjan. J’échange aussi avec certains artistes qui, dans l’ombre, deviennent un peu des parrains de La Belle Saison parce qu’ils sont capables de parler projet. Au premier contact avec des artistes qui se dirigent vers moi, on ne parle pas compositeurs ou programmes ; ce qui m’importe c’est le projet, la démarche qui réunit les musiciens. Chaque projet doit avoir un sens profond pour les artistes qui le construisent. »
 
Un approche qui va de pair avec une forte présence de jeunes interprètes et une ouverture à la création contemporaine. « Les jeunes sont l’avenir, La Belle Saison se doit de les soutenir et ils représentent au moins un tiers de notre programmation, relève Antoine Manceau. Quant au contemporain, à la création, depuis le temps de mes débuts à l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence je suis convaincu de nécessité de sa présence dans la programmation afin de rendre compte d’une histoire de la musique qui se raconte jusqu’à aujourd’hui, sans dogme esthétique et avec une grande variété du répertoire et des  formes. »
 
 

Le Méjan à Arles, parmi les partenaires de la première heure de La Belle Saison © DR
 
Créer l’aventure ensemble
 
Reste que dans un monde musical qui se relève du choc de la crise sanitaire et dans une société en pleine mutation, en raison du développement des réseaux sociaux notamment, l’adaptation est nécessaire – et même incontournable. «Nous nous trouvons dans un nouvel écosystème de la musique classique, constate le directeur artistique de La Belle Saison. Les musiciens peuvent très difficilement se résumer à leur art, ils doivent désormais s’impliquer dans leur communication, dans leur relations publiques, etc. Ils ne peuvent plus se poser ces questions de façon artificielle ou sous prétexte qu’on leur demande de s’impliquer sur ce terrain-là. Cela doit faire partie intrinsèque de leur vie d’artiste. Heureusement, la nouvelle génération, l’a compris ; tous ne sont pas armés de la même manière, mais ils l’ont compris. Et nous sommes justement auprès d’eux pour les aider à s’impliquer. La proximité avec les musiciens est le maître mot : à partir du moment où nous décidons de nous engager sur un projet, toute une communauté Belle Saison (les artistes, les lieux qui doivent accueillir le projet) se forme. Il s’agit de créer l’aventure ensemble, de vibrer avec les artistes, mais aussi de tirer systématiquement avec eux, le bilan de chaque concert, ce de d’autant plus que nous accompagnons des jeunes qu’il ne faut pas laisser se satisfaire des applaudissements – nous exerçons une forme de tutorat aussi. »
 

Le premier volume de l'intégrale de la musique de chambre de Brahms, enregistrée par La Belle Saison entre 2017 et 2019 pour B. Records

 
Mieux produire pour mieux diffuser

Plutôt que de se retourner sur la passé, c’est vers l’avenir qu’Antoine Manceau et son équipe regardent, en ne manquant pas de tirer les enseignements de la crise sanitaire et de son impact. Enseignements et stratégies qui ne sont pas les mêmes pour tous ...
« La période covid, note le directeur artistique, a été pour beaucoup d’organisation et de professionnels une période de réflexion — et tant mieux ! En sortie de covid, dans l’écosystème musique classique-musique de chambre, énormément de structures déterminantes dans le soutien à ce répertoire ont changé soit leur cahier des charges, soit leur mode opératoire, soit leur ligne éditoriale. C’est très louable. Mon petit regret est que beaucoup de fondations très importantes pour la musique classique ont visé le court terme et l’employabilité immédiate. »
« Notre démarche est différente. Tous ceux qui nous soutiennent depuis le début nous voient très concrètement aujourd’hui comme un outil d’autant plus à défendre. Un projet qui vise à faire ensemble, à mutualiser – ce aussi en matière de communication. Notre démarche est pleinement conforme au leitmotiv ministériel "mieux produire pour mieux diffuser". Un ministère de la Culture qui nous soutient d’ailleurs de manière accrue, via la Direction Générale de la Création Artistique, et avec lequel nous venons de passer en convention triennale. Soutien auquel s’ajoutent ceux de divers mécènes : C’est vous l’Avenir (la Fondation d’entreprise Société Générale), notre mécène principal auquel une longue fidélité nous unit, la Fondation Safran, potentiellement demain la Caisse des Dépôts, ainsi que toutes les société civiles : CNM, Adami, Spedidam et Sacem. »
« Notre approche n’est pas de faire moins pour sécuriser le court terme mais faire plus, et faire ensemble, pour construire dès maintenant les dix prochaines années, sans attendre la fin du creux de vague post-covid. »
 

Le Quatuor Hanson, en concert avec Adam Laloum les 28 mars (Coulommiers), 5 avril (Saint-Omer), 14 avril (Arles) & 10 juin (Paris) © Rémi Rière
 
L’avenir plutôt que le court terme

 
La Belle Saison entend poursuivre son aventure et met de très solides atouts de son côté en annonçant, à partir de la saison prochaine, une diminution drastique (-30% env.) du coût du concert pour le lieu qui l’accueille. « Mon réflexe est d’être très volontaire et d’investir dans l’avenir pour faire grandir La Belle Saison autour d’un réseau qui fédère, affirme Antoine Manceau. En plus de de nouveaux lieux (tels que Villefavard il y a peu ou Villecroze bientôt), des villes et des territoires font leur entrée dans le réseau Belle Saison, c’est cas de Soissons et du département de l’Aisne – où il n’est plus besoin de rappeler le formidable travail mené sur le terrain par Jean-Michel Verneiges, délégué départemental à la musique. »  
Quant à la saison 2024-2025, forte de 10 projets, elle est pour le directeur artistique « la première étape des dix années à venir, qui seront l’occasion de repenser le modèle économique et collaboratif afin que la Belle Saison demeure aussi forte ». Il est trop tôt encore pour en déflorer le contenu. La qualité et la jeunesse seront en tout cas comme toujours au rendez-vous. On relèvera aussi une dimension internationale avec un projet Mozart impliquant le pianiste belge Julien Libeer, entouré d’archets de premier ordre, et avec une création pour quatuor vocal confiée à la compositrice d’origine singapourienne Diana Soh.
 
Mais patience ... Pour l’heure, le feu bartokien nous attend avec Pierre et Théo Fouchenneret. Pour la suite du mois de mars de La Belle Saison, notez le programme « Ombres et Lumières » de Jean-François Heisser (25/03 - Bouffes du Nord), une soirée « Amérique ! » avec David Kadouch, Wilhem Latchoumia, David Violi et Vanessa Wagner (26/03 - Cherbourg-Le Trident) et, enfin, le Quator Hanson et Adam Laloum dans Schumann et Berg (28/03 - Coulommiers).
 
Alain Cochard
(Entretien avec Antoine Manceau et Jean Bardet réalisé le 12 janvier 2024)
 

 
(1) Listes des lieux partenaires du réseau Belle Saison : la-belle-saison.com/lieux-partenaires
 
Pierre Fouchenneret (violon) & Théo Fouchenneret (piano)
Œuvres de Bartók
26 février 2024 – 20h
Paris – Théâtre des Bouffes du Nord

la-belle-saison.com/saison-23-24-93dd510f/hungarian-rock
 
 
Calendrier 2023-2024 de La Belle Saison
la-belle-saison.com/calendrier
 
Photo © Vincent Ducard

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