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La Chronique de Jacques Doucelin - La grande salle de La Villette pointe son nez, mais aucun problème pratique n’a encore été résolu…
En ce début d’année 2010, tel un colchique dans les prés, le projet de grande salle de concerts symphoniques conçue par l’architecte Jean Nouvel dans l’enceinte de la Cité de la musique à La Villette, commence à pointer son nez hors du sol. On aimerait tant s’en réjouir sans réserve comme de la promesse d’un prochain printemps musical. Ne l’a-t-on pas assez réclamé – et nous les premiers - à cor et à cri cet auditorium de 2400 places dont la seule perspective devait combler un vide symphonique indigne de Paris ! C’était la pure vérité tant que la vieille salle Pleyel n’avait toujours pas fait peau neuve, mais c’est chose faite aujourd’hui, tant que Radio France n’avait pas décidé de son côté d’édifier un nouvel auditorium de 1500 places pour 2013 à l’occasion de son réaménagement intérieur, et surtout avant que le pays et ses finances ne soient brutalement secoués par la crise économico-financière mondiale de 2008.
Nous ne changeons pas d’avis, c’est la vie qui change… Qu’observe-t-on, en effet ? Toutes les salles parisiennes existantes accueillant encore des concerts (Pleyel et le Théâtre des Champs Elysées essentiellement depuis que le Châtelet a changé son mode d’exploitation) ont désormais le plus grand mal à remplir les soirées symphoniques, en particulier pour les phalanges internationales en tournée dont les prix de places sont élevés. Chacun a ses remèdes, mais ils se résument à ceci : on s’adresse aux habitués de la salle, généralement des abonnés, pour leur proposer de venir à deux pour le prix d’une place. Classique, certes, mais jusqu’où peut-on étendre le procédé sans risque financier grave ?
Or, si le projet de grande salle de 2400 places à La Villette se réalise, en plus de celui de Radio France (1500 places), il n’est pas déraisonnable de poser la question de sa rentabilité, c'est-à-dire de son taux de remplissage, compte tenu du fait que les deux salles actuelles (Pleyel, Théâtre des Champs Elysées) offrent chacune au public environ 1800 places par concert. On sait, comme l’a annoncé Laurent Bayle, qui pilote le projet de La Villette et gère toujours Pleyel, que dès 2013, la salle Pleyel rachetée à prix d’or à son propriétaire privé (qui a décidément fait une très bonne affaire !) serait revendue au privé pour y faire de la variété. Ouf ! On a eu peur…
Exit Pleyel. Bon, si j’ose dire. Quant au Théâtre des Champs Elysées, il devrait consacrer demain davantage de soirées à l’opéra. C’est pour cela qu’a été augmentée de façon significative la subvention de la Caisse des Dépôts et Consignations. Très bien. Sauf qu’on n’a pas tenu compte du fait que le Châtelet et l’Opéra Comique sont nouvellement entrés avec détermination dans l’activité lyrique, concurrençant directement les deux salles de l’Opéra de Paris comme celle des Champs Elysées ! Je ne veux pas vous embrouiller, mais vous montrer que tout cela n’a pas été réfléchi et sent son amateurisme. Ce n’est pas nouveau en France, mais jusqu’à présent cette gabegie était absorbée grâce à de petits arrangements dont la crise actuelle exclut qu’on puisse même y songer…
Du côté de Radio France, il n’est pas interdit d’espérer que ses responsables n’ont pas mis en chantier leur nouvel auditorium de 1500 places pour ne pas y produire leurs orchestres et leurs chœurs… à moins de vouloir sponsoriser le BTP, ce qui n’est pas exactement la vocation d’une radio ! Donc, en toute bonne logique, les orchestres de Radio France ne sont pas destinés à se produire dans la nouvelle salle de Jean Nouvel à La Villette qui ouvrira - comme c’est bizarre… - à peu près en même temps que celle de l’avenue du Président Kennedy. CQFD. Donc, mis à part l’Orchestre de Paris et les trois vieilles associations de concerts (Colonne, Lamoureux et Pasdeloup) et l’Orchestre d’Ile-de-France, la grande salle de La Villette devra surtout compter sur les phalanges régionales et étrangères invitées ou en tournée.
Mais le problème des ensembles musicaux accueillis à La Villette n’est rien face à celui du public susceptible de répondre à une offre considérablement augmentée à partir de la saison 2013-2014. C’est peu dire que la classe moyenne, certes motivée par la culture, mais particulièrement frappée par la crise économique, a un budget loisirs de plus en plus restreint. Peut-être l’Etat songe-t-il à rendre gratuit l’accès de sa nouvelle salle comme c’est le cas certains jours dans les musées ? Nous, on n’est pas contre, mais c’est moins sûr du côté du Ministère des Finances… Pour justifier la construction de ce nouvel outil, les responsables de son fonctionnement sont en train de changer de braquet : la nouvelle panacée n’est plus la conquête d’un nouveau public comme on avait cru le comprendre, mais une politique d’animation musicale mixant formation de nouveaux interprètes et du public scolaire grâce à des méthodes empruntées au… Vénézuela.
Si vous ne comprenez pas ce que vient faire à La Cité de la Musique l’un des principaux pays producteurs de pétrole, rappelez-vous le succès remporté cet automne à Pleyel justement par le jeune chef vénézuelien Gustavo Dudamel et son orchestre junior. Nous on veut bien, mais était-ce bien sage de créer naguère à la Cité de la musique un Institut de pédagogie s’il faut aujourd’hui aller chercher des modèles pédagogiques dans les favelas d’Amérique du Sud ! Il paraît qu’on fait l’Europe : à ce propos, n’oublions pas que la Hongrie a inventé un système d’éducation musicale populaire des plus efficaces dès son époque communiste. Et aujourd’hui, tous les pays européens jalousent à bon droit la Finlande qui récolte les fruits d’une politique déterminée d’un quart de siècle en faveur de la musique classique, qui se traduit par une insolente floraison de musiciens, chefs d’orchestre en particulier, et d’organisateurs de concerts ! Pour ne pas parler de l’expérience anglaise acquise par le London Symphony Orchestra que le malin Bernard Foccroulle a invité à venir durant quatre étés adapter à l’Académie européenne du Festival d’Aix-en-Provence ses méthodes pédagogiques à l’intention des musiciens débutants et du jeune public. Mais ça n’a pas dû remonter jusqu’à Paris… Pensez, avec ces TGV tout le temps en panne !
Ce que traduit surtout une telle incohérence, c’est d’abord une vraie panique à bord. Et c’est cela qui est fort inquiétant : visiblement, le projet a du plomb dans l’aile comme on dit. Ô certes, la très grande salle sera construite. D’ailleurs, ça n’est pas l’édification de l’instrument qui coûte cher, mais son fonctionnement, surtout si jamais un géomètre s’avise d’y mettre son nez et ses ordinateurs… Car aucun des problèmes pratiques n’a encore été résolu alors que le bâtiment sort de terre. Le principal se pose d’ores et déjà, c’est celui du transport des usagers du nouvel et mirifique outil culturel. Ce qu’illustre à merveille le courrier de l’un de nos fidèles lecteurs, Monsieur Jacques Gruet, qui relate ainsi son aventure du 15 décembre dernier :
« après nous être assurés qu’il restait des places, nous sommes partis de Levallois à 19 heures, avons roulé dans les encombrements du périphérique pour tomber sur un véritable embouteillage à l’approche de la Cité. Arrivés à juste 20 heures devant le parking nous avons trouvé celui-ci fermé : COMPLET ! En effet, il ne reste que les places en sous-sol, les travaux du futur auditorium ont commencé, ils occupent toute la surface de l’ancien parking et rien ne paraît avoir été prévu pour le remplacer (alors qu’il semble qu’il aurait été possible d’aménager un parking provisoire dans l’immense espace disponible devant la Grande Halle). Il a été évidemment impossible de trouver une place dans les rues alentour. Nous avons dû renoncer et rentrer chez nous.
Cette aventure intervient après une similaire que nous avions vécue il y a quelques semaines le jour où il y avait un concert Bénabar au Zénith qui avait rempli les parkings. Après ces deux avatars dans la même saison, il est évident que nous ne remettrons pas les pieds à la Cité de la musique ! Le comble, c’est qu’on construit là le nouvel auditorium ! Quelle idée de construire des salles loin de la plus grande partie de leur public (Y a-t-il beaucoup de clients pour la Chambre Philharmonique Porte de Pantin ?) »
Bonne question : est-il bien raisonnable de construire de vastes lieux de rassemblement si l’on n’a pas prévu AVANT les moyens d’acheminer le public ? Cela me rappelle l’Opéra populaire de la Bastille où il n’y avait ni escalier pour le public, ni caisse pour vendre les billets… Ah, ça n’est pas en France qu’on construirait des salles pour le public !
Jacques Doucelin
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Photo : DR
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