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La Chronique de Jacques Doucelin - Pourquoi tu tousses ?
C’est comme les téléphones portables dans les transports en commun, on a failli s’habituer aux toux intempestives dans les salles de concerts. Mais cet automne douçâtre et pluvieux constitue un véritable bouillon de culture pour tous les miasmes de la terre, qui transforme les mélomanes en tousseurs professionnels. On s’est repris à s’inquiéter pour les solistes et à plaindre ces victimes innocentes de grossiers personnages. Jusqu’à ce que l’un de ces martyrs explose et s’adresse directement au public : « Mesdames, Messieurs, je voudrais vous rappeler qu’une salle de concerts est faite pour y faire de la musique et non pour tousser ». C’est Pierre Laurent Aimard qui s’exprime ainsi en plein récital d’Etudes pianistiques au Théâtre des Champs-Elysées. Le ton est à la fois excédé et empreint de calme. On a honte, on se fait tout petit sur son siège, tellement gêné qu’on puisse en arriver là.
Car nous savons tous d’expérience ce qu’est une quinte de toux, son caractère irrépressible. Mais elle ne survient pas avec la traîtrise d’un éternuement difficilement prévisible. On sait bien quand on est enchifrené : alors, on se munit d’un cache-nez, à tout le moins d’un mouchoir. On oserait dire que c’est le Ba Ba du mélomane enrhumé ! Mais l’heure n’est plus à la discrétion, à la politesse minimum, mais au sans gêne le plus gras, au manque d’égard : « je paye, donc je tousse », c’est le slogan du public new look, qui ne semble faire aucune différence entre musique vivante et Star Academy à la télévision : là vous pouvez cracher vos poumons tranquillement, ça ne risque pas de gêner le voisin du dessous et encore moins les artistes !
Or, il suffit de tousser dans un tissu pour réduire de moitié l’impact sonore. Il n’est pas nécessaire de sortir de Polytechnique pour comprendre ça. Mais il y a apparemment une jouissance maligne à tousser à gorge déployée afin de projeter l’onde sonore avec autant d’efficacité qu’une cantatrice. Et curieusement – avez-vous remarqué ? – toujours au beau milieu d’un pianissimo. Est-ce l’émotion ou une manifestation de l’inconscient, la nature ayant, dit-on, horreur du vide ? Certains de mes confrères critiques estiment que l’intensité et le nombre de ces toux de compensation seraient inversement proportionnels à l’ennui suscité par l’interprétation. Je n’ai jamais rien remarqué d’aussi net. En revanche, la toux est la manifestation d’un rejet caractérisé chez certains, en particulier de la musique contemporaine, en fonction de cet axiome débile : puisque c’est du bruit, mettons nous au diapason !
Bref, le constat est cruel et le bilan suffisamment inquiétant pour qu’il soit urgent d’intervenir pour les directeurs de salles. Ils ont avec des moyens divers et variés assez bien réussi à refreiner l’invasion des sonneries de téléphones portables : il est grand temps qu’ils réfléchissent et surtout qu’ils agissent contre les tousseurs impénitents. On va se permettre de le faire avec eux afin de leur suggérer quelques pistes.
Il y a belle lurette que nos voisins Anglais plaident dans leurs programmes pour l’usage du mouchoir comme étouffoir pour la toux, dessins à l’appui et distribuent des mouchoirs en papier à l’entrée des salles. L’idée est à reprendre. Mais l’ampleur des dégâts est telle, qu’il convient de frapper plus fort encore, c'est-à-dire de façon sonore. Le Châtelet a ainsi choisi de faire résonner une stridente sonnerie de téléphone pour provoquer le réflexe chez les porteurs d’engins diaboliques. De même, il faudrait faire entendre une énorme quinte de toux sur fond, à peine audible, d’adagio de Mozart avant d’expliquer qu’il suffit de tousser dans son mouchoir, illustration sonore à l’appui. Il n’y a pas là à engager de frais dispendieux au regard du préjudice qu’on réussira à rendre supportable. Pour qu’on ne dise plus : pourquoi tu tousses ?
Jacques Doucelin
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Photo : DR
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