Journal
Là-Haut ! de Maurice Yvain par les Frivolités Parisiennes à l’Athénée – On ira tous au Paradis – Compte-rendu
Les Frivolités Parisiennes ont encore frappé ! Le constat s’impose, implacable : une fois de plus le coup est rude, très rude ... pour la morosité ! Trois semaines après le Théâtre Impérial de Compiègne, où la compagnie est en résidence, la maison de Louis Jouvet accueille son nouveau spectacle : Là-Haut ! de Maurice Yvain. Un auteur qui porte décidément chance aux Frivos : on se souvient d’un remarquable Yes ! qui, si elle n’était pas leur première production, avait permis à l’équipe menée par Mathieu Franot et Benjamin El Arbi de franchir un cap et de se faire connaître d’un public plus large. Avec Là-Haut !, la compagnie revient aux débuts d’Yvain puisque la partition date de 1923 (1), juste un an après Ta bouche, première opérette qui donna son élan à la formidable carrière du compositeur durant l’entre-deux-guerres (une vingtaine de titres entre 1922 et 1935).
Du tonus, de l’enthousiasme, un goût très sûr, la pointe de distance indispensable : la potion magique des Frivos fait des miracles, une fois de plus !
Victime d’une fausse route lors du cocktail d’anniversaire de ses 33 ans (telle est l’hypothèse retenue ici par le metteur en scène), Evariste Chanterelle arrive tout droit au Paradis, laissant en bas, à Auteuil, Emma, veuve (supposée) éplorée. Accueil par les Elues et Saint-Pierre. Evariste découvre par l'entremise de Frisotin, son Ange Gardien, qu’en bas Emma ... est nettement moins affectée que prévu, et que le cousin Martel rôde ... Autorisation accordée par Saint-Pierre de redescendre sur terre en compagnie de Frisotin, avec permission de minuit - pas une minute de plus ! « Une femme légitime vue d’en haut, ça devient épatant » : retour de flamme d’Evariste pour Emma, et réciproquement, tandis que Frisotin découvre l’ivresse des plaisirs terrestres. Minuit sonne : tout le monde décide gagner le Paradis, avec Emma enceinte. Mais la mort d’Evariste n’était qu’un évanouissement et toute cette histoire un rêve : voilà résumé à très grands traits l’argument du livret de Mirande & Quinson sur lequel Yvain a travaillé, avec le concours l’indispensable Willemetz pour de savoureuses lyrics.
Pascal Neyron, qui a déjà signé avec les Frivolités un Gosse de riche d’Yvain et un Testament de la Tante Caroline de Roussel (2) très réussis, les retrouve pour Là-Haut ! Et de trois ! : on ne résiste pas un instant à la drôlerie, au peps d’une approche qui a pris le parti de raccourcir les dialogues et supprimer certains couplets pour parvenir à un spectacle (d'un seul tenant) d’une heure quarante environ. Timing parfait : pas un instant le soufflé ne retombe ! Derrière, l’improbabilité des situations, le burlesque, les rimes faciles, très, mais entêtantes ... ô combien ! – « Ose Anna, Ose Anna » ... – et quelques actualisations bien amenées (clins d’œil à Houellebecq et Renaud !), le metteur en scène montre aussi beaucoup de tact et de sensibilité - il n’est pas courant de trouver autant d’arrière-plans dans un spectacle d’opérette.
Le plaisir et le rire restent toutefois les maîtres mots dans un décor sobre et réussi (Caroline Ginet) où le Paradis a les allures et l’émolliente atmosphère d’une salle de repos pour curistes – ce qui ne suffit pas à refroidir certaines ardeurs toutefois (dont celles de Maud, bien frustrée d’avoir été trop sage en bas ...). L’acte II n’est pas moins convaincant avec un Evariste faisant son retour à Auteuil sous une allure très christique avant que, minuit sonnant, tout ce petit monde ne s'envole chez Saint-Pierre.
La distribution se révèle impeccable de part en part, aimantée par l’esprit de troupe propre aux Frivos : avec une très large palette expressive, Mathieu Dubroca (photo à dr.) offre un Evariste attachant et séducteur, flanqué de l’impayable Frisotin de Richard Delestre, tandis que Jean-Baptiste Dumora (photo à g.) campe un sympathique Saint-Pierre, sévère d’apparence mais bon gars au fond — juste un peu las de deux mille ans de bons et loyaux services. Charme, élégance et piquant rassemblés, Judith Fa est une merveilleuse Emma, poursuivie par le Martel d’Olivier Podesta, entreprenant à souhait. Clarisse Dalles sait faire bouillir tous les désirs frustrés de Maud ; parfaites Elues de Stéphanie Guérin, Faustine de Monès, Mathilde Ortscheidt et Marion Vergez-Pascal. En fosse, Nicolas Chesneau mène l’affaire tambour battant, à la tête d’un orchestre bien fourni, plein de couleurs et débordant du bonheur de jouer.
Là-Haut ! tient l'affiche jusqu’au 31 mars, courrez-y !
Alain Cochard
(1) Yes ! est de 1928
(2) La sortie de l’enregistrement de ce mémorable Roussel est attendue chez Naxos à une date sans doute assez proche mais pour l’heure indéterminée.
M. Yvain : Là-Haut ! - Paris – Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 18 mars ; prochaines représentations les 19, 20, 22, 24, 27, 29 & 31 mars 2022 // www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/la-haut.htm
Photo © Les Frivolités Parisiennes
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