Journal
La Juive d’Halévy à l’Opéra national du Rhin – Tension palpable – compte-rendu
Grand opéra à la française, La Juive (1835) de Jacques-Fromental Halévy (1799-1862), renoue depuis quelques années avec le succès après une longue éclipse. Les invraisemblances du livret de Scribe, la longueur de l’ouvrage, mais plus encore la difficulté à trouver des chanteurs capables de se confronter aux exigences de la partition expliquent cette désaffection. Les événements d’aujourd’hui avec la confrontation entre les religions redonnent une actualité brûlante à une œuvre relatant les conflits entre juifs et chrétiens, le dogmatisme, la violence, les problèmes d’identité. Après Gand et Anvers en 2015, l’Opéra national du Rhin reprend une version déjà rôdée mais qui a frôlé la catastrophe le soir de la première strasbourgeoise : souffrant, le ténor Roberto Saccà engagé pour le rôle écrasant d’Eléazar a été remplacé le soir même par l’Américain Roy Cornelius Smith (venu de Venise dans la journée) qui, fort heureusement, connaissait parfaitement cette production.
© Klara Beck
La mise en scène de Peter Konwitschny (réalisée par Dorian Dreher), très démonstrative, s’applique à rendre en permanence la tension dramatique qui oppose les communautés. Le décor constitué d’une immense rosace de cathédrale fait aussi place à des scènes plus typées (en particulier à l’acte II la table où les juifs viennent fêter Pessah à la manière de la Cène, ou le lit autour duquel s’affrontent Rachel et sa rivale la Princesse Eudoxie). De grandes tours avec des néons emprisonnent l’espace pour mieux insister sur l’enfermement à la fois psychologique et physique. Vêtus de costumes assez impersonnels, les personnages portent des gants colorés (bleus pour les chrétiens, jaunes pour les juifs) afin de définir leur appartenance religieuse.
Rachel Harnisch incarne l’héroïne avec un engagement et une sûreté vocale dans les sauts d’octaves périlleux. L’élan, la spontanéité et la sensibilité qui se dégagent de son chant comme la qualité de la diction ou la noblesse de son jeu théâtral ne peuvent laisser indifférent. Face à elle, Ana-Camelia Stefanescu en princesse Eudoxie, se montre tour à tour inflexible et humaine, voix puissante et mordante. Valeureux eu égard aux circonstances de sa prestation, Roy Cornelius Smith réussit avec intelligence à donner de la crédibilité à Eléazar, sachant équilibrer les registres sans trop forcer (« Rachel, quand du Seigneur ») et, après une période d’adaptation, surmontant avec facilité les écueils semés en chemin (la cavatine « Dieu que ma voix tremblante »). Plus banale, la voix de Robert McPherson ne possède guère le timbre belcantiste et rossinien de Léopold - ses aigus peinent à s’épanouir. En Cardinal Brogni, Jérôme Varnier s’impose de sa basse profonde et Nicolas Cavallier magnifie, par sa présence et son autorité, le rôle de Ruggiero. Les chœurs, très sollicités, investissent souvent le plateau (les cris qu’ils profèrent vis-à-vis de Rachel et de son père adoptif Eléazar sont parfois à la limite de la caricature) et les déplacements provoquent quelques décalages. D’un professionnalisme à toute épreuve, le chef canadien Jacques Lacombe recherche plus la sécurité que la subtilité dans les nuances. L’Orchestre symphonique de Mulhouse, sous cette baguette énergique, se montre précis, tendu et sans raideur. Une soirée d’ailleurs appréciée par le public de l’Opéra National du Rhin.
Michel Le Naour
Halévy : La Juive - Strasbourg, Opéra, 3 février 2017 ; prochaines représentations à Strasbourg les 6, 9, 12, 14 février, puis à Mulhouse (La Filature) les 24 et 26 février 2017 / www.operanationaldurhin.eu/opera-2016-2017--la-juive-opera-national-du-rhin.html?PHPSESSID=ad8c9279e2a8518c4a296323496e8203
Photo © Klara Beck
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