Journal
La Nonne sanglante de Gounod à l’Opéra de Saint-Etienne – Ainsi fond, fond, fond… - Compte-rendu
Non sans courage, l’Opéra de Saint-Etienne avait décidé de programmer La Nonne sanglante, dans la foulée de sa résurrection française à l’Opéra-Comique en 2018. Evidement, la pandémie est passée par là, et c’est par un énième « report Covid » que ladite Nonne stéphanoise voir enfin le jour, le spectacle ayant dû être abandonné en pleines répétitions il y a quelques années. Pour autant, cette production n’est pas sauvée, car un préavis de grève menace ses trois représentations. La deuxième, ce mardi 2 mai, a pu avoir lieu malgré l’absence de plusieurs instrumentistes dans la fosse et de quelques membres du chœur sur le plateau. Aucune huée de la part du public (ce n’était pas le cas un mois auparavant, du temps où la grève était liée à la réforme des retraites) quand les artistes ont exprimé leur mécontentement dans un communiqué lu avant le lever du rideau : cette fois, la cause en est la manière dont les budgets de la culture sont revus à la baisse. Ainsi fond, fond, fond la subvention versée par la ville de Saint-Etienne, ce qui a déjà entraîné l’annulation d’un des spectacles initialement prévus la saison prochaine.
© Cyrille Cauvet
Pour sa mise en scène, Julien Ostini nous révèle que La Nonne sanglante serait un opéra « féministe et écologiste », qui montre que les méchants mâles sont incapables de respecter et d’honorer le féminin, qu’il s’agisse de notre mère Nature ou de l’autre moitié de l’humanité. Drôle d’idée, néanmoins, de vouloir rendre hommage à la « douceur de la terre nourricière » en situant l’intrigue sur la banquise, où l’on doit rarement entendre la « fauvette des bois » évoquée dans le livret. A moins qu’il ne faille y voir un rappel du réchauffement de la planète, à l’heure où la glace des pôles fond, fond, fond… Si les costumes inuits recréent superbement un univers dépaysant, on est nettement moins emballé par la grosse meringue censée représenter un iceberg, que les chanteurs doivent sans cesse faire tourner sur le plateau.
Après l’entracte, Julien Ostini se contente plus sobrement de colonnes de glace lumineuse (étrange pole dance néanmoins, dans la scène du mariage) mais on retrouve cet abus des éclairages multicolores déjà remarqué dans Iphigénie en Tauride, production de sinistre mémoire conçue pour Angers-Nantes Opéra. Quant aux brusques chutes de neige rouge, associées aux apparitions de la Nonne, elle seraient plus impressionnantes si des flocons écarlates ne tombaient pas tout au long de la soirée.
© Cyrille Cauvet
Heureusement, les satisfactions sont bien plus grandes sur le plan musical. Pour un opéra prétendument féministe, les voix féminines ne sont pas les plus gâtées : le rôle-titre n’a droit qu’a du quasi parlando, mais Marie Gautrot lui confère une forte présence, la jeune première Agnès, à peine mieux traitée, étant défendue avec véhémence par Erminie Blondel. Charlotte Bonnet est une pimpante Anna, mais le personnage le plus développé est finalement le page Arthur, rôle travesti dont Jeanne Crousaud parcourt en se jouant les interventions les plus virtuoses et dont elle chante avec beaucoup d’esprit l’air plein d’ironie. Son Hamlet lorsqu’elle était Ophélie sur cette même scène en 2022, Jérôme Boutillier, retrouve avec bonheur le rôle de Luddorf qu’il avait interprété au pied levé à l’Opéra-Comique et dans lequel il se taille un vrai succès, son air final constituant un sommet d’émotion.
Thomas Dear prête à Pierre l’Ermite un splendide timbre de basse, dont on comprend mal qu’il ne soit pas davantage exploité par nos théâtres. Enfin, alors que Michael Spyres à Paris tirait le rôle vers le romantisme des années 1830, Florian Laconi se l’approprie en soulignant bien davantage, par la générosité de son chant, combien il préfigure les héros postérieurs de Gounod, Faust ou Roméo, dans une partition où l’on décèle déjà à bien des endroits les sonorités et les figures caractéristiques du compositeur de Mireille.
© Cyrille Cauvet
Dans la fosse, Paul-Emmanuel Thomas dirige conviction cet opéra (de 1854) qui, pour n’être que le deuxième de son auteur, n’en offre pas moins quantité de pages admirables, l’Orchestre symphonique Saint-Etienne Loire lui rendant pleinement justice, ainsi que le Chœur lyrique préparé par Laurent Touche. Espérons que ces deux formations, qui ont déjà renoncé à une partie de leurs activités prévues pour la saison prochaine, ne seront pas condamnées à leur tour à fondre, fondre, fondre…
Laurent Bury
Photo © Cyrille Cauvet
Derniers articles
-
21 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
19 Décembre 2024Jacqueline THUILLEUX
-
17 Décembre 2024Alain COCHARD