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La vraie mort de Saint François ? Reprise contestable de l’œuvre de Messiaen à la Bastille
C’est le devoir de l’Opéra de Paris de maintenir à son répertoire les huit scènes franciscaines que Rolf Liebermann, à force de ténacité, obtint d’Olivier Messiaen en 1983, d’autant que l’ouvrage ne s’est pas vraiment imposé à l’étranger, si l’on excepte les efforts de Gérard Mortier qui importa à Salzbourg la production de Peter Sellars donnée voici maintenant douze ans à la Bastille. Fallait-il vraiment, après les folies cathodiques, la poésie décalée et la violence (les stigmates !) des images de Sellars une nouvelle production de Saint François d’Assise ?
Pour José van Dam, c’était une nécessité. La mise en scène obéit à un cahier des charges virtuel qui spécifie que le baryton devra chanter sur un plan surélevé, afin de passer au-delà de la barrière de l’orchestre de Messiaen. Mais au fond, Messiaen a écrit la partie instrumentale de l’œuvre « à coté » des voix, et elles sont rarement couvertes, sinon dans les Stigmates et dans La Mort et la Nouvelle Vie. Pour cette dernière partie, Van Dam retrouve le sol, à genoux, sur le proscénium, aussi près que possible de la salle, mais impitoyablement l’orchestre absorbe sa voix.
Il est certainement trop tard pour son probable dernier Saint François, en tous cas dans l’immense vaisseau de la Bastille, à Garnier, il en eut été tout autrement, et d’ailleurs, sans regretter furieusement l’esthétique robe de bure de la mise en scène de Sequi à l’occasion de la création, on se fatigue pourtant assez vite du coté design modern de la mise en espace de Stanislas Nordey, qui ne parvient pas à sauver les deux premiers tableaux, les plus faibles de l’ouvrage (mais l’on a aimé la coquetterie de l’Ange en voyage, ayant remisé ses ailes dans une valise transparente très tendance). Car Messiaen, même dans le Baiser au lépreux, n’atteint pas l’impact émotionnel du polyptique central de l’Ange, du Prêche aux oiseaux et des Stigmates.
Le plateau était sans réelle faiblesse, si l’on met à part José van Dam, par ailleurs tellement possédé par son personnage. Homberger fit un numéro d’anthologie dans les virulences de Frère Elie envoyant paître l’ange, l’anti-franciscain si l’on lit attentivement les Fioretti, mais si hurlée que fut sa colère elle impressionnait bien moins que le ton hautain et méprisant qu’y mettait le créateur, Michel Sénéchal. Lépreux toujours inégalé de Chris Merritt, vivant sa guérison avec une ivresse de révélation, magnifique Frère Massée de Charles Workman, tellement candide et amusé durant le Prêche, Brett Polegato traînait un peu son refrain et n’assumait pas totalement le costume du « simple » endossé par Frère Léon , quant à Roland Bracht, il dévoile avec humilité toute l’humanité de Frère Bernard.
L’Ange de Christine Schäfer laissait partagé, silhouette et blondeur divine mais ce français peu compréhensible et cet aigu parfois court font regretter les opulences de Christiane Eda-Pierre où le simple rayonnement de Dawn Upshaw. En douze années, Sylvain Cambreling n’a pas revu sa copie. Sa direction analytique a ses qualités, mais elles sont antithétiques à celles exigées par le propos même de Messiaen : aucun rayonnement, aucun enthousiasme, aucune sensualité, inutile évidemment d’espérer voir l’orchestre jubiler dans le Prêche où se pâmer dans l’Ange musicien.
Mais les Stigmates furent impressionnants, musicalement comme visuellement. Cambreling aura péché toute la soirée par un tempo trop lent qui assénait littéralement les figures ornithologiques, et sa disposition orchestrale laissait à désirer. Pourquoi avoir placé coté jardin au niveau de la scène les xylophone, métallophone et marimbas et avoir laissé dans la fosse, par exemple, les jeux de cloches ? Il fallait bipolariser tous les idiophones afin de pouvoir saisir les paradis de couleurs que Messiaen voulait faire entendre en convoquant tout cet arsenal percussif. Les ondes Martenot, constamment trop fortes, achevaient de détruire cet équilibre précaire nécessaire à l’ivresse de la grâce.
Soir de première, les choses s’arrangeront peut-être. Mais Ozawa, et dans une moindre mesure Nagano auront trouvé d’évidence le cœur secret de l’œuvre qui se refuse toujours au chef amiénois.
Jean-Charles Hoffelé
Première de la nouvelle production de Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen, Opéra Bastille, Paris, le 6 octobre 2004, et les 9, 12, 16, 20, 24, 27 octobre puis les 2 et 5 novembre.
Photo : François Fogel
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