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Lady Macbeth de Mtensk au Grand Théâtre de Genève – A l’Est rien de beau – Compte-rendu

 

 Pas une ride, hélas ! Créée il y a neuf ans à l’Opera Ballet Vlaanderen, la redoutable vision de Calixto Bieito reste d’une terrible actualité. En voyant les miliciens mettre à sac le décor entre les troisième et quatrième actes, on songe aux soldats volant jusqu’aux fenêtres et au shampooing dans les maisons ukrainiennes … Après le démembrement de la demeure des Ismaïlov dans une mine du Donbass, tout devient boueux et morbide. Le noir du plateau prend la couleur du tchernoziom, cet humus désormais nourri d’entrailles et de métaux lourds. La violence marque cette excellente production du metteur en scène catalan. En 2014, elle semblait prémonitoire de l’enfer qui allait s’ouvrir au flanc est de notre Europe.
 
En écrivant Lady Macbeth de Mtensk, Dimitri Chostakovitch dressait, en 1934, un tableau apocalyptique de l’humanité et de l’âme russe. Un quasi-siècle de totalitarisme lui aura donné raison. Que les mises en scène en soient signées Martin Kusej ou Krzysztof Warlikowski (deux marquantes productions pour l’Opéra de Paris) on reste toujours saisi par la puissance et l’apparente hideur de cet opéra phare du XXe siècle, à égalité avec Lulu, Die Soldaten, Licht et Saint François d’Assise.
 

© Magali Dougados - GTG
 
Tout y est paroxystique, les situations, les sentiments … et d’abord le volume des cuivres ponctuant fortissimo chaque meurtre du couple maudit. La fosse du Grand Théâtre aurait dû déborder sous ce chaos de décibels mais la direction d’Alejo Pérez, aussi à l’aise dans les pianissimi imperceptibles que dans les fugatos massifs, est nerveuse et structurée.
Le chef argentin avait montré ici-même, dans Guerre et Paix de Prokofiev (2021), ses affinités avec le répertoire « soviétique ».(1) La précision est préférée à la masse tonitruante. L’humour grinçant est constamment souligné, tels ces glissandi de trombone pour l’after jouir des violeurs, ou le basson narquois accompagnant les méfaits du beau-père (le magistral Dmitry Ulyanov). Summum de la soirée, l’antiphonaire désespéré qu’entonnent les déportés au goulag. Saluons l’excellence du Chœur du Grand Théâtre de Genève dirigé par Alan Woodbridge à qui Bieito demande un sidérant tohu-bohu bohu d’âmes damnées au quatrième acte.
 

© Magali Dougados - GTG
 
Pour interpréter cette œuvre où ne règnent que la domination, le viol et l’humiliation, il faut des acteurs – chanteurs capables de tout donner d’eux-mêmes, y compris exhiber ses parties les plus intimes, ce que Bieito réclame ad nauseam. Mais rien n’effraie l’incendiaire Aušrinė Stundytė qui fait corps avec un rôle désormais abordé sur de nombreuses scènes. En robe bleue ou en soutien-gorge, qu’elle soit hystérique (photo)ou couverte de sanies, la soprano aux aigus d’airain et à l’infinie tendresse se montre à tel point habitée par son personnage qu’il lui faudra quelques minutes pour regagner la réalité et une ovation amplement méritée.
Après Anvers, elle retrouve, à Genève, le Sergueï impressionnant de Ladislav Elgr, mince séducteur priapique dont le timbre possède cette fêlure propre aux fourbes d’opéra comme Loge et Monostatos.
 

© Magali Dougados - GTG
 
John Daszak, de couleur plus lumineuse, domine le rôle du mari trahi. L’Aksinia de Julieth Lozano et la Sonyetka de Kai Rüütel sont admirables de sûreté vocale et d’intensité dramatique. Michael Laurenz fait du Balourd un convaincant toxicomane galeux. Parmi cette lie humaine, on applaudit le pope alcoolique d’Alexander Roslavets et le Commissaire sans vergogne d’Alexey Shishlyaev. Le reste de la splendide distribution mélange les interprètes bulgares (Aleksandar Chaveev, Marin Yonchev, Georgi Sredkov), russes (Vladimir Kazakov, Anna Samokhina, Dimitri Tikhonov) et ukranien (Igor Gnidii). La dévotion à la musique saurait-elle gommer les haines redevenues mortelles ? Chostakovitch, à qui Staline fit payer bien cher l’audace de son opéra hors du commun, aurait répondu oui.
 
Vincent Borel

(1) www.concertclassic.com/article/guerre-et-paix-de-prokofiev-selon-calixto-bieito-au-grand-theatre-de-geneve-rentrez-en-paix
 
Chostakovitch : Lady Macbeth de Mtensk -  Genève, Grand Théâtre, 29 avril ; prochaines représentations les 2, 4, 7 & 9 mai 2023 // bit.ly/3LtNXaO
 
 
Photo © Magali Dougados
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