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Le Prophète de Meyerbeer à Toulouse – Retour en voix – Compte-rendu
Il y a quelques années, aimer Meyerbeer passait encore pour une marque de ringardisme musical. Certes il y avait eu des enregistrements de prestige (avec notamment Joan Sutherland, Marilyn Horne ou Plácido Domingo) et quelques reprises marquantes (celle de Robert le diable, en 1985, au Palais Garnier, par exemple) mais les préjugés restaient inchangés. Le compositeur des Huguenots était toujours considéré comme un artisan trop habile, qui avait réussi à amalgamer diverses idées à la mode, sans rien y ajouter d’autre que des effets spectaculaires, propres à enflammer un public de gogos. Le « grand opéra », dont il avait été l’un des maîtres, n’était-il pas d’ailleurs le banquet des riches, où chacun pouvait trouver nourriture à son goût ? Ballets variés, airs brillants, ensembles ronflants, machinerie sophistiquée y étaient forcément au menu. Et ce menu trop copieux avait fini par lasser les estomacs délicats.
Après plusieurs tentatives de « Meyerbeer Renaissance » (comme cela s’était fait auparavant pour Rossini et Donizetti), il semble bien pourtant que l’heure soit venue de réévaluer une œuvre trop vite enterrée. Que ce soit en Allemagne, en Angleterre ou en France, les titres les plus connus ressortent peu à peu et, à chaque fois, l’accueil général est loin d’être indifférent. C’est dans un tel contexte que se situe la nouvelle production du Prophète, que présente actuellement le Théâtre du Capitole.
Créé en 1849 à Paris (salle Le Peletier), cet opéra est apparu aussitôt comme une réussite majeure, portée par une distribution de haut vol (Pauline Viardot, Gustave-Hippolyte Roger, Prosper Levasseur…) et par de stupéfiantes innovations techniques (des patins à roulettes pour les danseurs, la lumière électrique au début du troisième acte). Son sujet, imaginé par Scribe, a pour cadre la Hollande du seizième siècle au moment de l’hérésie des Anabaptistes. Nouveau messie, en passe de se faire couronner comme roi, Jean de Leyde est amené à renier sa mère. A la dimension religieuse de l’intrigue, s’ajoutent des questionnements, toujours d’actualité, sur les révoltes sociales, la manipulation des foules et l’ivresse du pouvoir.
Thomas Dear (Mathisen), John Osborn (Jean de Leyde), Mikeldi Atxalandabaso (Jonas), Dimitry Ivashchenko (Zacharie) © Patrice Nin
A la différence de ce qui s’est fait récemment à Karlsruhe et à Essen, la production du Théâtre du Capitole ne repose pas sur une relecture alambiquée. Sans tomber pour autant dans la simple reconstitution d’époque, Stefano Vizioli (mise en scène), Alessandro Ciammarughi (décors et costumes), Guido Petzold (lumières) et Pierluigi Vanelli (mouvements chorégraphiques) replacent ces événements dans un dix-neuvième siècle intelligemment stylisé. Quelques éléments décoratifs, choisis avec pertinence, suffisent à créer l’ambiance de chaque tableau. Les scènes de foule conservent leur dimension grandiose. C’est à peine si par moments (pour l’arrivée d’Oberthal ou pour le ballet par exemple) une certaine distance ironique vient nuancer l’ordonnancement parfait des solistes, des chœurs et des figurants. Dans son esprit comme dans sa forme, dans sa grandiloquence comme dans sa sincérité, l’œuvre de Meyerbeer est ainsi respectée, et c’est tant mieux ! Dans les images qui nous sont proposées, rien ne vient perturber une qualité musicale d’ensemble, si difficile à obtenir pour cet opéra, qui, de toute évidence, constitue un lien majeur entre Gluck et Rossini d’une part, Gounod et Verdi de l’autre.
Kate Aldrich (Fidès), John Osborn (Jean de Leyde) @ Patrice Nin
A la tête d’un Orchestre du Capitole toujours aussi fringant, Claus Peter Flor maintient un discours aussi puissant que nuancé, en mettant en valeur les richesses de l’orchestration et en accompagnant avec le meilleur soin une équipe d’excellents chanteurs, qui, tous, s’expriment dans un français impeccable. John Osborn traduit avec panache la complexité psychologique d’un Jean, capable à la fois de tendresse et de violence. Avec raison et talent, il rattache ce rôle à tout un héritage belcantiste et évite de n’en faire qu’un tonitruant « Heldentenor ». Confrontée à la tessiture meurtrière de Fidès, Kate Aldrich compense par le flamboiement de son engagement dramatique et par le mordant de son registre aigu ses quelques menus problèmes dans le bas-medium. Tout aussi impressionnante par sa hardiesse vocale, Sofia Fomina donne un relief saisissant au personnage de Berthe, la malheureuse fiancée du prophète.
Voix idéalement noires et puissantes, Dimitry Ivashchenko (Zacharie) et Thomas Dear (Mathisen) constituent avec le ténor Mikeldi Atxalandabaso (Jonas) un trio d’anabaptistes au dessus de tout reproche. En retrait lors de sa première scène, Leonardo Estévez (le comte d’Oberthal) s’affirme avec plus d’aisance dans la suite de la représentation. Que dire enfin des Chœurs du Capitole (préparés par Alfonso Caiani), dont la place dans ce grand opéra est fondamentale ? Ils l’occupent de manière souveraine.
Tant de louanges pourront surprendre ceux qui n’ont pas assisté à cette représentation. Elles nous semblent amplement méritées, surtout si l’on mesure les enjeux d’une telle réhabilitation, venant après un bien long ostracisme. Assister à un tel spectacle vous fait faire un prodigieux voyage dans le temps. On y découvre une musique intelligente, habile, variée, inégale parfois, dont on ne voudrait plus se priver dans les temps à venir. A l’automne prochain, la Deutsche Oper de Berlin doit à son tour présenter une nouvelle production du Prophète, dans une mise en scène d’Olivier Py et sous la baguette d’Enrique Mazzola (1). Meyerbeer est redevenu fréquentable !
Pierre Cadars
(1) www.deutscheoperberlin.de/en_EN/calendar/production/le-prophete.1115921
Meyerbeer : Le Prophète – Toulouse, Théâtre du Capitole, 23 juin prochaines représentations le 27, 30 juin & 2 juillet 2017 / www.theatreducapitole.fr/1/saison-2016-2017/opera-612/le-prophete.html?lang=fr
Photo Kate Aldrich (Fidès), John Osborn (Jean de Leyde) © Patrice Nin
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