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Le Temps d’Aimer - Biarritz 2019 – La danse d’aujourd’hui et ses aléas – Compte-rendu
Le Temps d’Aimer - Biarritz 2019 – La danse d’aujourd’hui et ses aléas – Compte-rendu
Quête existentielle, révolte sociale, désarroi identitaire, ou recherche du corps pour lui-même, vastes sujets certes, tous passionnants, mais si peu de rire, si peu d’humour, si rares sourires, comme pour rattraper son retard sur la musique, laquelle a offert opéras-bouffes et opérettes, voilà ce qu’on trouve le plus souvent dans la danse d’aujourd’hui, qui apparaît sérieuse, souvent pesante, étouffante même. Tonalité grave et sombre, voire tragique pour clore ce festif Temps d’Aimer, lequel depuis vingt-neuf ans, nous mène de découverte fragile en coups de cœur, de tentatives ratées parfois touchantes, parfois exaspérantes, en véritables assurances pour l’avenir, en ouverture sur d’autres modes d’expression. C’est le lot de ce type de manifestation.
Cette session, heureusement, il y a eu l’éblouissante démonstration de flamenco prodiguée par David Coria et sa compagnie, donnée dans un style moins tragique qu’à l’accoutumée, et qui élargit l’horizon de ce mythique langage, ou encore l’arrêt sur image évoquant, grâce au CNDC d’Angers, les recherches subtiles de Merce Cunningham , dont le monde de la danse célèbre le centenaire de la naissance cette année : intello, ô combien !, mais au moins abouti et de grande classe.(photo)
Et puis, pour finir, la plongée dans le néant, par le sujet, les migrants et leur terrible errance, et malheureusement aussi par la réalisation, signée d’un chorégraphe que l’on sait doué, pour en avoir apprécié d’autres pièces ici-même, Faizal Zeghoudi, avec sa petite compagnie, basée à Bordeaux. Que voit-on dans ce No land demain ? Une poignée de jeunes gens, même pas en haillons (tenues pas très différentes des premières lyriques à Garnier), qui se balancent, prostrés ou gesticulant sans le moindre fil conducteur, sur l’infernale scansion, à peine évolutive, d’un bruit signé Lucas Garnier, et ce pendant une heure. Le tout ponctué d’un certain nombre d’ « Allahou Akbar », outre quelques autres interjections pas toujours compréhensibles. Des bruits de mitrailleuses, quelques vociférations brutales et à la fin l’anéantissement progressif des danseurs. Poulenc fit mieux avec la mort de ses Carmélites… On devrait être bouleversé, déchiré par cette désespérance répétitive sur un thème qui ne peut laisser indifférent : l’absence de vraie conduite du propos ne mène ici qu’à l’ennui, qui engendre rarement un choc.
Cette session, heureusement, il y a eu l’éblouissante démonstration de flamenco prodiguée par David Coria et sa compagnie, donnée dans un style moins tragique qu’à l’accoutumée, et qui élargit l’horizon de ce mythique langage, ou encore l’arrêt sur image évoquant, grâce au CNDC d’Angers, les recherches subtiles de Merce Cunningham , dont le monde de la danse célèbre le centenaire de la naissance cette année : intello, ô combien !, mais au moins abouti et de grande classe.(photo)
Et puis, pour finir, la plongée dans le néant, par le sujet, les migrants et leur terrible errance, et malheureusement aussi par la réalisation, signée d’un chorégraphe que l’on sait doué, pour en avoir apprécié d’autres pièces ici-même, Faizal Zeghoudi, avec sa petite compagnie, basée à Bordeaux. Que voit-on dans ce No land demain ? Une poignée de jeunes gens, même pas en haillons (tenues pas très différentes des premières lyriques à Garnier), qui se balancent, prostrés ou gesticulant sans le moindre fil conducteur, sur l’infernale scansion, à peine évolutive, d’un bruit signé Lucas Garnier, et ce pendant une heure. Le tout ponctué d’un certain nombre d’ « Allahou Akbar », outre quelques autres interjections pas toujours compréhensibles. Des bruits de mitrailleuses, quelques vociférations brutales et à la fin l’anéantissement progressif des danseurs. Poulenc fit mieux avec la mort de ses Carmélites… On devrait être bouleversé, déchiré par cette désespérance répétitive sur un thème qui ne peut laisser indifférent : l’absence de vraie conduite du propos ne mène ici qu’à l’ennui, qui engendre rarement un choc.
Carmen (chor. John Inger) © Stéphane Bellocq
Pour vraiment clore le festival en beauté, le Carmen commandé par José Martinez, alors qu’il était encore directeur de son Ballet National d’Espagne, au chorégraphe allemand en vogue John Inger, sur la Suite un peu grasse qu’en fit Rodion Shchedrin, reprenant les temps forts de Bizet. Inger, qui fut d’abord un abstrait, dans le droit fil contemporain, a depuis quelque temps abordé aux rivages du narratif, notamment avec un étonnant et terriblement intelligent Petrouchka, créé par les Ballets de Monte Carlo. Il est moins inspiré par ce Carmen, qu’il a abondamment délayé, compliquant une intrigue dont la simplicité coupante demande une certaine sécheresse dramatique. Il y a des silhouettes de morts, des volets qui tournent, des jeux de miroirs, un regard d’enfant (voir Fellini) sur le drame, et toute une série d’effets scéniques qui ne sont pas sans rappeler une autre Carmen, d’un certain Thierry Malandain, lequel traita le sujet de façon novatrice, en 1996. Quelques puissants tableaux, certes, et un sens scénique plus intéressant que la stricte chorégraphie. Mais si Inger veut sortir le thème de ses chromos espagnolisants habituels, pourquoi parsemer les scènes les plus violentes d’interjections lancées en hurlant, façon guapa, etc.
Malgré tout, on se laisse prendre par la beauté des danseurs, leur engagement, la brûlure qu’ils impriment à leur personnages, à commencer par la farouche Sara Fernandez en Carmen et son Don José plus épuré, Daan Vervoort. En dépit des écueils, le courant passe irrésistiblement : Carmen en a vu d’autres et le génie de Bizet continue d’opérer, même barbouillé. Et le public a fait fête à ce superbe Ballet National d’Espagne, du plus grand professionnalisme, et si bien affûté par le talent de Martinez.
Jacqueline Thuilleux
Pour vraiment clore le festival en beauté, le Carmen commandé par José Martinez, alors qu’il était encore directeur de son Ballet National d’Espagne, au chorégraphe allemand en vogue John Inger, sur la Suite un peu grasse qu’en fit Rodion Shchedrin, reprenant les temps forts de Bizet. Inger, qui fut d’abord un abstrait, dans le droit fil contemporain, a depuis quelque temps abordé aux rivages du narratif, notamment avec un étonnant et terriblement intelligent Petrouchka, créé par les Ballets de Monte Carlo. Il est moins inspiré par ce Carmen, qu’il a abondamment délayé, compliquant une intrigue dont la simplicité coupante demande une certaine sécheresse dramatique. Il y a des silhouettes de morts, des volets qui tournent, des jeux de miroirs, un regard d’enfant (voir Fellini) sur le drame, et toute une série d’effets scéniques qui ne sont pas sans rappeler une autre Carmen, d’un certain Thierry Malandain, lequel traita le sujet de façon novatrice, en 1996. Quelques puissants tableaux, certes, et un sens scénique plus intéressant que la stricte chorégraphie. Mais si Inger veut sortir le thème de ses chromos espagnolisants habituels, pourquoi parsemer les scènes les plus violentes d’interjections lancées en hurlant, façon guapa, etc.
Malgré tout, on se laisse prendre par la beauté des danseurs, leur engagement, la brûlure qu’ils impriment à leur personnages, à commencer par la farouche Sara Fernandez en Carmen et son Don José plus épuré, Daan Vervoort. En dépit des écueils, le courant passe irrésistiblement : Carmen en a vu d’autres et le génie de Bizet continue d’opérer, même barbouillé. Et le public a fait fête à ce superbe Ballet National d’Espagne, du plus grand professionnalisme, et si bien affûté par le talent de Martinez.
Jacqueline Thuilleux
Le Temps d’Aimer, Biarritz - No land demain, le 14 septembre, Carmen le 15 septembre 2019 // letempsdaimer.com/
Photo © DR
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