Journal
Le Timbre d’argent de Camille Saint-Saëns à l’Opéra-Comique/Festival Bru Zane à Paris – Le rêve de Conrad – Compte-rendu
Ecrit au mitan des années 1860 et créé en 1877 seulement (la même année que La princesse jaune et Samson et Dalila), le premier de la douzaine d’opéras du compositeur français aura occupé son auteur jusqu’à l’ultime reprise bruxelloise de 1914 – version finale retenue pour la production de Favart. On comprend l’attachement du compositeur à une partition qui, comme l’écrit justement Gérard Condé, est « bien plus qu’un galop d’essai ».
Bâti sur un livret de Barbier et Carré, Le Timbre d’argent plonge le spectateur dans un univers « fantasticonirique » ; le rêve-cauchemar du personnage principal, Conrad, peintre sans le sou que l’on découvre alité et souffrant au commencement du I. Un rêve où Spiridion, son médecin, se transforme en un marquis sulfureux et lui propose un pacte diabolique par le truchement d’un timbre qui, quand il tinte, procure de l’or mais ... provoque la mort d’un innocent. Un rêve où la danseuse Fiammetta, qu’il a peinte en Circé, hante ses pensées. Un rêve dont Conrad s’échappe au terme du dernier acte, guéri, pour embrasser une vie sage, avec la douce Hélène à ses côtés – tandis que le chœur entonne un vibrant Alléluia. Pareil argument offre bien des libertés, que Saint-Saëns n’a pas hésité à exploiter : « il y a de tout dans cet ouvrage, qui va la Symphonie à l’Opérette, en passant par le Drame lyrique et le Ballet », confiait le musicien en 1914.
La variété du Timbre d’argent peut suprendre, mais on ne saurait lui reprocher quoi que ce soit d'incohérent. « De la Symphonie à l’Opérette » : c’est bien par la symphonie que tout commence avec une vaste ouverture d’une généreuse treizaine de minutes. Son foisonnement happe l’attention et montre d’entrée le rôle moteur, la fonction agissante et unificatrice de l’orchestre tout au long de l’ouvrage. Les reproches d’académisme adressés à Saint-Saëns font sourire quand on découvre les prodiges d’imagination, les alliages subtils, les sonorités étranges (étonnantes musiques de ballet !) qu’il déploie ici.
Le plateau appelle bien des éloges, on y vient, mais commençons par la fosse, elle le mérite tant : avocat fervent de Saint-Saëns, François-Xavier Roth accomplit des prodiges à la tête de ses Siècles. Son approche engagée, d’un fini et d’une précision irréprochables, rend pleinement justice à l’orchestre du Timbre d’argent et porte avec souffle et finesse le spectacle imaginé par Guillaume Vincent.
Pas de nostalgie dixneuvièmiste chez le metteur en scène, mais une vision moderne (James Brandily aux décors, Baptiste Klein à la vidéo, Kelig le Bars aux lumières) – avec même du clinquant années 80 pour les passages les plus « canaille » de la partition –, qui fait corps avec la variété de l’inspiration – sans négliger le merveilleux et le fantastique. De la triste chambre de Conrad jusqu’à la scène d'un cabaret, l’affaire est assumée avec tact et fluidité ; le niveau et l’implication scénique des chanteurs y ajoutant beaucoup.
En Conrad, Edgaras Montvidas mêle avec art fragilité et virilité, tandis que Tassis Christoyannis, resplendissant, crève l’écran avec un formidable Spiridion d’un méphistophélisme mi-onctueux, mi-cauteleux. Français impeccable, comme tout le reste de la distribution, Yu Shao offre un très touchant Benedict, bien apparié à la tendre et fraîche Rosa de Judie Devos. Quant à Hélène Guilmette, elle saisit la simplicité et la pureté d’Hélène avec une vibrante sensibilité – au fait, tous nos vœux de santé et de bonheur à la future maman ! On n’oublie pas enfin le rôle dansé de Fiammetta, tenu avec sensualité par Raphaëlle Delaunay (Herman Diephuis signe les chorégraphies), ni la belle prestation d’Accentus, jamais meilleur que lorsque Christophe Grapperon en a la charge.
Alain Cochard
Diffusion sur France Musique le 2 juillet 2017 à 20h
Photo © Pierre Grosbois
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