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Le Tueur de Mots en création française à Nancy - Entre poésie et virtuosité vocale - Compte-rendu
Au départ de la collaboration entre Claudio Ambrosini (né en 1948) et Daniel Pennac, il y a une remarque de l'écrivain à propos du travail de « toilettage » des dictionnaires. Afin de les mettre au diapason de l'évolution lexicale, les maisons d'édition suppriment les mots tombés en désuétude au profit des nouveaux. Ce terrible constat du cycle de vie et de mort des vocables forme le support de l'argument du Tueur de Mots, « ludodrame » créé à La Fenice en décembre 2010 à la Fenice, et qui connaît ce soir sa première française à Nancy. Plus qu'une dénonciation de l'appauvrissement de la diversité des langages, il s'agit d'un tableau poétique et métaphysique du destin inéluctable des langues, emmené par la logique mathématique de l'esprit humain, incarné par la pragmatique épouse du tueur de mots, un homme sensible et rêveur. Devenu adulte, son fils l'assiste dans l'enregistrement des idiomes menacés, espèces en voie de disparition, avant l'avènement de la langue définitive, monnaie unique des échanges entre les hommes. Mais l'entreprise se révélera vaine puisque tout aura été gravé sur une seule et même bande magnétique – magnifique parabole de l'impuissance pour l'humanité à conserver la mémoire de sa créativité linguistique, émotionnelle et poétique, vouée au triomphe des nombres et de l'oubli.
C'est tout le paradoxe de cet ouvrage que de présenter une sorte de prospective au passé composé – le passage à la langue unique n'étant pas sans évoquer celui à la monnaie commune ou à l'année 2000. La partition d'Ambrosini n'y est pas étrangère, avec son orchestration délicate et son écriture vocale exubérante, qui rappelle les recherches de l'avant-garde au lendemain de la seconde guerre mondiale, sans jamais se départir d'un lyrisme inscrit dans les gênes de l'italianité que l'on retrouvait aussi bien chez Berio que Maderna. La partie confiée à la mère, constamment écartelée entre les pôles de la tessiture s'aventure jusqu'au contre-fa dièse – Sonia Visentin y démontre une virtuosité impressionnante, faisant pardonner des stridences sans doute difficilement évitables. Roberto Abbondanza, avec son timbre d'un paternel moelleux, incarne le rôle-titre avec une sensibilité et un soin dans la diction exemplaires.
Le choeur tient ici une place prépondérante, de l'ouverture vocalique au grand finale, et il convient de saluer le travail réalisé par les formations de l'Opéra national de Lorraine et de l'Opéra-Théâtre de Metz. On évoquera également le fils, convaincant Mirko Guadagnini, ainsi que les trois interprètes des petits rôles qui complètent cette confrontation conjugale entre deux univers spirituellement antagonistes – Valentina Valente en mot tué, photographe et dernière jeune oratrice presqu'aussi haut perchée que la mère ; Damiana Pinti, journaliste et dernière oratrice des marais ; et enfin Gianluca Buratto, collègue dont l'allure fruste séduit la comptable lassée de son poète de mari.
A l'intérieur d'un cube mobile, puis d'un large dispositif au deuxième acte, la mise en scène de Francesco Micheli évoque efficacement les atmosphères qui se succèdent, en dépit de la relative étroitesse de la scène nancéenne, comparée à celle de La Fenice. A la tête de l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, Andrea Molino défend un ouvrage sans doute plus poétique que théâtral, et qui souligne de la part de l'Opéra de Nancy un engagement envers la création contemporaine d'une belle indépendance à l'égard des sirènes de la mode et de « l'actualité ».
Gilles Charlassier
Ambrosini : Le Tueur de mots – Opéra national de Lorraine, Nancy, 26 juin, dernière représentation le 3 juillet 2012
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Photo : DR
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