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Les Contes d’Hoffmann l’Opéra Royal de Wallonie-Liège – Collectionnite aiguë – Compte-rendu
Désormais accueilli régulièrement à Toulouse (Ariane et Barbe-bleue, Rusalka), Stefano Poda a depuis plusieurs saisons ses habitudes à Liège. La production des Contes d’Hoffmann dont, comme toujours, il assure mise en scène, scénographie et costumes, a été créée à Lausanne à l’automne 2019, année du centenaire de la naissance d’Offenbach et, après un passage par Tel Aviv en novembre 2022, arrive cette année à l’Opéra Royal de Wallonie, également coproducteur du spectacle. Dans un impressionnant décor en forme de cabinet de curiosités, qui s’ouvre parfois pour révéler la chambre d’Hoffmann tournant comme un tambour de machine à laver, Stefano Poda imagine un monde atteint de collectionnite, y compris lors du prologue, où les « étudiants » deviennent des esthètes manipulant des objets précieux.
À chaque acte se reproduit ainsi un ballet de vitrines manipulées par des figurants : à l’acte d’Olympia, elles contiennent des automates ; ensuite, des divas du passé – dont la mère d’Antonia et bientôt la jeune fille elle-même ; à Venise, ce sont les grandes courtisanes de l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle qui sont mises en boîte, et dans l’épilogue, la Stella devient à son tour pièce de collection. Les translations constantes de ces vitrines à travers le plateau tiennent lieu d’action, parmi le lent défilé des protagonistes, fidèle à « l’esthétique Poda » qui revient d’un spectacle à l’autre. Tout cela est très beau, mais escamote entièrement les aspects comiques de l’œuvre (les quatre valets en font les frais).
© ORW-Liège/J.Berger
À cette entreprise de pétrification résiste néanmoins la forte personnalité d’Erwin Schrott, qui abuse un peu des rires diaboliques et a tendance à fondre ses quatre « méchants » dans le même moule : dès le prologue, opposé à la Muse, le diable roule des mécaniques (il semble que la tenue largement échancrée sur la poitrine et bras nus ait été imposée par l’interprète, si l’on compare avec les éditions suisse et israélienne du spectacle), et promène sa désinvolture sarcastique d’un acte à l’autre. Le recours au parlando agace parfois, malgré les effets indéniables qu’il permet, mais l’interprète sait soumettre son timbre somptueux pour un « Scintille, diamant » à la ligne très pure, malgré une diction encore perfectible.
J. Pratt & Arturo Chacón-Cruz © ORW-Liège/J.Berger
Remplaçant Celso Albelo (qui a peut-être reculé devant les acrobaties nécessaires pendant la rotation de la chambre mentionnée plus haut), Arturo Chacón-Cruz est un Hoffmann qui ne sort guère du forte et du mezzo-forte, surtout dans l’aigu, mais dont l’ardeur vocale est assez irrésistible et le français châtié. En matière d’articulation, il est néanmoins surpassé par Jessica Pratt, à qui les trois rôles féminins ne posent aucun problème, et qui s’offre même le luxe de chanter « Les oiseaux dans la charmille » comme le ferait vraiment un automate, et avec des nuances admirables, la soprano livre un portrait complet d’un personnage aux multiples facettes.
Bien que seule francophone des quatre personnages principaux, Julie Boulianne n’a pas l’élocution aussi claire et semble plus d’une fois manquer de projection pour ne pas être couverte par l’orchestre. Vincent Ordonneau ne peut guère qu’aligner des notes, puisque la mise en scène réduit ses quatre personnages à presque rien (même l’air de Frantz perd de son sens, privé du faux-pas du personnage à la fin du deuxième couplet). Luca Dall’Amico est un solide Crespel, Valentin Thill, un peu sous-employé, campe un brillant Spalanzani, aux côtés d’habitués de l’Opéra de Liège qui se partagent les petits rôles. Outre sa prestation musicale, on admire le soin avec lequel le chœur exécute la chorégraphie qui lui est imposée.
Dans la fosse, Giampaolo Bisanti opte pour des tempos rapides, qui ne simplifient pas toujours la tâche des solistes, et dirige une version copieuse (plus de trois heures de musique) qui profite des redécouvertes musicologiques – il aurait été dommage de se priver de « L’amour lui dit, la belle » dans sa version hérissée de vocalises lorsqu’on a pour l’interpréter une virtuose telle que Jessica Pratt – mais l’acte de Venise revient, pour l’essentiel, à la version Choudens, la seule qui soit, jusqu’ici, théâtralement probante même si elle n’est pas de la main d’Offenbach.
Laurent Bury
Jacques Offenbach, Les Contes d’Hoffmann - Liège Opéra Royal de Wallonie, 19 novembre ; prochaines représentations les 21, 23, 26, 28, 30 novembre & 2 décembre 2023 // www.operaliege.be/
Photo © ORW-Liège/J.Berger.
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