Journal
Les Duos pour piano et cordes de Saint-Saëns par l’Ensemble Le Déluge (3CD Ad Vitam) / Le Disque de la Semaine – L’art du dialogue – Compte-rendu
Autant dire que Wagschal est une fois de plus en terre d’élection avec les duos pour piano et cordes de ce dernier, projet pour lequel il a fait appel à d’excellents archets pleinement investis dans ces partitions rares : Pierre Fouchenneret, Ayako Tanaka et Sébastien Surel au violon, Pauline Bartissol au violoncelle – tous rassemblés au sein de l’Ensemble Le Déluge (clin d’œil à une partition de Saint-Saëns célèbre pour son Prélude, qu’ils n’ont d’ailleurs pas manqué d’enregistrer dans sa version pour violon et piano.)
De compositions de jeunesse telles que la Suite pour violoncelle et piano op. 16 (1862) – qui précède de peu le Trio op. 18 – jusqu’à l’Elégie op. 160, écrite un an avant la mort du compositeur, les trois CD embrassent sa production sur presque six décennies et mettent en lumière l’inspiration variée, souvent étonnante, d’un créateur profondément libre qui contribua de manière décisive à l’extraordinaire floraison chambriste que la France connut à partir des années 1870 – ce qui ne signifie aucunement, comme d’aucuns le laissent parfois accroire, que rien n’a existé auparavant en ce domaine : les quatuors de George Onslow, pour ne citer qu’eux, le démontrent éloquemment !
A côté de réalisations telles que les trois sonates pour violoncelle et piano (dont la 3ème nous est parvenue incomplète) et les deux sonates pour violon et piano, la production de duos de Saint-Saëns comprend quantité de pièces brèves, aussi finement ouvragées que séduisantes. Tout au long des trois disques, l’équilibre entre ouvrages de grande ampleur et miniatures est maintenu et ajoute au plaisir d’une écoute en continu.
La Sonate n° 1 en ut mineur pour violoncelle – contemporaine du 1er Concerto op. 33 –, placée au début de la première galette, bouscule d’emblée pas mal d’idées reçues sur le prétendu académisme de Saint-Saëns par la sombre expressivité de deux mouvement rapides que Pauline Bartissol, portée par le jeu présent, vivant mais jamais envahissant de Laurent Wagschal – qualités qui valent d’un bout à l’autre de l’intégrale –, cultive avec art et ardeur. On n’est pas moins sensible au chic et à la variété d’humeur (superbe Scherzo con variazioni !) que les interprètes apportent à la Sonate n° 2 ou à leur lyrique franchise dans la 3e Sonate. Quant à la Suite pour violoncelle et piano op. 16, ils en restituent avec tact la dimension « entre-deux », à la fois tournée vers le XVIIIe siècle et en prise avec le siècle romantique.
Partage des tâches en revanche entre Ayako Tanaka et Pierre Fouchenneret s’agissant des sonates pour violon. A la première revient la Sonate n°1 : la sonorité lumineuse de celle qui occupe le poste de supersoliste de l’Orchestre National de Lille depuis quatre ans nous vaut une lecture ample et épanouie. Elle ne souligne que mieux le contraste avec la 2e Sonate, d’esprit complètement différent et d’accès moins immédiat (l’auteur s’est plu à y faire référence à des mètres grecs) mais que Pierre Fouchenneret et Laurent Wagschal restituent avec une intense pureté.
Pas de troisième sonate hélas ; le talent de Sébastien Surel trouve toutefois à s’exprimer dans plusieurs miniatures : du délicieux néo-classicisme de Sarabande et Rigaudon op. 93 au lyrisme éperdu de l’Elégie op. 160, en passant par le Triptyque op. 56 (ouvrage dédié à la Reine Elisabeth de Belgique ), l’Elégie op. 143 ou la Méditation, l’élégance, la qualité d’intonation et l’engagement de celui que l’on connaît comme premier violon du Quatuor Ludwig s’illustrent, tout comme un art consommé du dialogue, d’ailleurs propre à la totalité de ce triple album.
Vrai délice, l’exploration des pièces brèves permet de retrouver un Fouchenneret très poète dans la Berceuse op. 38 (écrite en 1871 à l’intention du jeune Paul Viardot) et le Prélude du Déluge. Saint-Saëns miniaturiste n’a heureusement pas oublié le violoncelle ! Romance op. 36, Allegro appassionato op. 43, Gavotte op 16 bis n° 3, Romance op. 51, Chant saphique op. 91, Prière op. 158 : Pauline Bartissol et Laurent Wagschal parviennent à saisir les caractères de ces pages avec autant de charme que de simplicité.
Une précieuse contribution au centenaire Saint-Saëns. Sachons en gré à Ad Vitam, un éditeur dont l’aptitude à accompagner des interprètes désireux de sortir des sentiers battus n’est plus à dire.
Alain Cochard
Camille Saint-Saëns : Duos pour piano et cordes
3 CD Ad Vitam Records / AV 210 215
Photo © Nathan Bleurvacq
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