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Les Huguenots au Grand Théâtre de Genève - Une forme de consécration - Compte-rendu
Si les Huguenots ont fait leur réapparition sur les scènes lyriques depuis une dizaine d’années, ils suscitent toujours la curiosité, voire l’engouement. Comme on en juge par la nouvelle production au Grand Théâtre de Genève qui mobilise, outre un public fervent, le gratin international de la presse spécialisée. Il est vrai que l’annonce du spectacle était déjà en soi alléchante, avec un plateau vocal de haut vol, le retour de Marc Minkowski dans cet opéra de Meyerbeer qu’il avait ressuscité avec éclat en 2011 à la Monnaie de Bruxelles (1), et une mise en scène attendue du duo Jossi Wieler et Sergio Morabito (quelque peu porté sur le Grand Opéra à la française, qui avait déjà concocté une intégrale remarquée de la Juive d’Halévy à Dresde en 2013). Ces espoirs ne sont pas déçus, à différents égards.
Pour ce qui est de la partition, l’ambition figure aussi à l’affiche, proposée peu ou prou intégralement (hors quelques allègements dans les ballets, toutefois maintenus), pour une représentation de cinq heures en incluant les deux entractes. Une manière de rigueur dans la restitution de cet ouvrage et de respect face à l’œuvre. On est assez loin, sur ce plan, des récents Huguenots à la Bastille, et dans la réalisation tout autant. Le plateau aligne ainsi ce qui peut se faire de mieux pour cet opéra que l’on a longtemps cru, à tort, impossible pour les chanteurs.
© Magali Dougados
Les trois premiers actes, qui forment tout un récapitulatif des arias et ensembles vocaux propres à mettre en exergue les prouesses du chant, filent alors d’un trait, pendant que les deux derniers actes, d’un tragique des plus inspirés, vibrent dans toute leur intensité (que Berlioz tout le premier ne se fera pas faute de louer). La portée de l’œuvre, son message et sa transmission, son impact musical, se retrouvent comme neuf, comme au premier jour, qui expliquent son succès mondial de jadis depuis sa création en 1836 (suivi de plus de mille représentations dans le seul Opéra de Paris) avant sa tombée aux oubliettes quelque cent ans plus tard.
Les forces musicales du Grand Théâtre, chœur et Orchestre de la Suisse Romande, témoignent d’une ardeur assortie d’une précision jamais prise en défaut, galvanisés à en croire qu’ils sont par la taille de l’enjeu. Marc Minkowski, absent du Grand Théâtre depuis vingt ans, relève le défi de cette œuvre monument, sertissant les détails, polissant les équilibres (la toute fin avec le contrepoint des deux chœurs opposés), lançant les moments de fougue exacerbée, d’une battue toujours éminemment investie. Assurément le grand intercesseur de ce retour à Meyerbeer qu’il a su l’un des tout premiers orchestrer.
© Magali Dougados
La pléthorique distribution s’y coule d’une pareille ferveur. John Osborn constitue le Raoul idéal du moment dont on ne voit guère d’autre prétendant possible, d’un lyrisme d’une endurance constante, servi par une technique rare qui sait allier émission de poitrine et de tête (à l’instar de celle du créateur du rôle le légendaire Adolphe Nourrit). Le trio des principales voix féminines succombe pareillement à un chant souverain : Ana Durlovski (Margueritte de Valois), Rachel Willis-Sørensen (Valentine) et l’articulée Lea Desandre (le travesti Urbain). Laurent Alvaro (Saint-Bris) et Alexandre Duhamel (Nevers) affirment la projection sûre qu’on leur connaît. Pour ces cinq chanteurs, autant de prises de rôle grandement assumées. Michele Pertusi serait pour sa part un Marcel quelque peu caverneux mais bien planté. Les multiples seconds rôles (une bonne douzaine) se profilent de leur côté avec une égale justesse. Un rendu vocal qui frise la perfection pour une œuvre où il a une part si essentielle. Et tous avec une franche et bien transmise élocution française, indispensable dans ce cas.
Quant à la mise en scène de Wieler et Morabito, elle réutilise un prétexte qui a déjà beaucoup servi : celui d’un rodage cinématographique, ou le prétexte du cinéma dans le théâtre. Mais sans effets appuyés, comme un alibi d’arrière-plan sur fond de film historique du conflit entre catholiques et protestants dans la France du XVIe siècle. On retrouve ainsi peu de décors (des colonnes templières qui montent et descendent, des marches et bancs tout aussi religieux, l’inévitable table de maquillage, des tours de matériaux de montage), alors que les costumes oscillent de notre époque, sanguinolents dans le cas des huguenots promis à l’hécatombe, à celle d’une Renaissance ornementée. Lors des deux brèves séquences de ballets, la chorégraphe Altea Garrido choisit un trémoussement hystérique de danse de Saint-Guy (on reste toujours dans la référence religieuse !) puis un bal façon courtisans. Pourquoi pas ? pour des passages qui constituent aussi une sorte de piège. Les mouvements demeurent du reste et dans l’ensemble bien réglés, en particulier dans les moments tumultueux d’agitation de foule. La scène finale, celle du massacre de la Saint-Barthélemy, se traduit à l’inverse par une nudité noire du plateau et une sobriété des gestes qui en rend d’autant la portée tragique. Nul doute qu’à Genève, cité huguenote s’il en est (où l’opéra de Meyerbeer n’avait plus été donné depuis près d’un siècle), ce message aura été vécu avec un certain retentissement.
Pierre-René Serna
Meyerbeer : Les Huguenots – Grand Théâtre de Genève, 26 février ; prochaines représentations : 28 février, 1er, 4, 6 et 8 mars 2020 // www.gtg.ch/les-huguenots/
Photo © Magali Dougados
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