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Louis Langrée dirige Pelléas et Mélisande avec l’Orchestre National de France – Un Pelléas peut en cacher deux autres
Rendez-vous avec Louis Langrée (photo) pour un café matinal en face du Théâtre des Champs-Elysées. 10 heures : d’une parfaite ponctualité, le chef nous rejoint avec à la main la partition de poche de Pelléas et Mélisande. Les effets du décalage horaire se font sentir mais rien chez celui qui depuis la rentrée 2013 (1) tient les rênes du Cincinatti Symphony Orchestra (2) ne saurait altérer le bonheur de retrouver Paris pour un Pelléas et Mélisande dont il entame le jour même les répétitions avec Eric Ruf, metteur en scène de cette nouvelle production du TCE, et une magnifique équipe de chanteurs où Jean-Sébastien Bou et Patricia Petibon tiennent les rôles-titres.
Le spectacle en gestation marque l’un des principaux événements lyriques du printemps à Paris, une étape importante dans le parcours de l’artiste français aussi. L. Langrée dirige en effet pour la toute première fois l’Orchestre National de France. Hasards de la carrière ... S’il est proche de l’Orchestre de Paris, où il a été autrefois été assistant et qui l’a réinvité à plusieurs reprises, le chef n’a jamais encore dirigé le National, « un orchestre qui occupe une place à part. Je l’ai souvent écouté, enfant et adolescent, se remémore-t-il, et je garde de grands souvenirs des concerts de Leonard Bernstein – un formidable Requiem de Berlioz aux Invalides en particulier - ou de Celibidache. C’est un orchestre qui collectivement possède la sonorité et la manière de parler la musique française. Je me dis qu’il est peut-être bien de rencontrer ce genre d’orchestre tard ... »
L. Langrée ne pouvait rêver meilleur terrain de rencontre que le chef-d’œuvre de Debussy : « Pelléas est une œuvre que je porte depuis l’époque où j’étais assistant de John Eliot Gardiner et chef de chant à l’Opéra de Lyon. La production mythique de Pierre Strosser a décidé de ma vocation de chef lyrique. Avant Pelléas je ne comprenais pas l’opéra ; c’est par cet ouvrage que je suis entré à l’Opéra. Il a décidé de ma vocation, d’une manière de penser l’opéra. »
« J’ai dirigé l’œuvre avec des orchestres francophones, Orchestre de Paris, Orchestre de la Suisse Romande, Orchestre des Champs-Elysées, mais aussi avec des orchestres au son plus opulent, plus charnu, comme le Philharmonique de Londres. » L. Langrée a soigneusement noté sur sa partition toutes les corrections de Debussy, « qui n’a pas arrêté de réorchestrer Pelléas » (corrections dont on a connaissance grâce en particulier à la partition annotée de la main de Debussy conservée à la Bibliothèque François-Lang de Royaumont ndr). Au fur et à mesure, le compositeur a donné un son plus dense. Il n’existe pas de version définitive. Ce qui est intéressant pour nous, interprètes, c’est d’avoir toutes les options, toutes les possibilités, et de changer en fonction du contexte, de l’acoustique. »
Louis Langrée et les musiciens du Cincinnati Symphony Orchestra © CSO
« Pelléas n’a pas de livret, poursuit le chef, il s’agit d’une pièce de théâtre que Debussy a transportée à l’Opéra. Je cite souvent les mots prononcés par José Van Dam lors d’une production à Genève : « chanter Pelléas c’est parler plus haut » – parler plus haut en tessiture, mais aussi en spiritualité, en intensité. Pelléas n’est pas une œuvre à interpréter car si vous décidez d’aller dans telle ou telle direction vous vous fermez un champ de possibilités. Il faut laisser les choses ouvertes. On n’interprète pas Pelléas ; on le dit avec une simplicité, une intensité maximale et presque en s’effaçant derrière les personnages. Sur cette œuvre, et c’est tellement rare à l’Opéra, il faut presque que les chanteurs n’incarnent pas les rôles, il ne doivent pas faire écran. Le texte de Pelléas est presque à délivrer comme un texte sacré. »
« On entend parfois encore des remarques sur le caractère prétendument « suranné » du texte de Maeterlinck. C’est de la faute des interprètes. Maeterlinck est un écrivain immense - il n’a pas été Prix Nobel par hasard. Le symbolisme a été souvent mal compris ; il s’agit d’une autre manière de penser l’art. Il faut laisser la chose se révéler, mettre le spectateur en position de se créer sa propre mise en scène. On ne doit pas imposer plus de vision au spectateur que si on lisait un livre. L’œuvre Pelléas nous offre ça, ce qui est rarissime à l’Opéra.»
Maurice Maeterlinck © DR
Le travail avec Eric Ruf ? « Je crois à la réalité de la collaboration sur un plateau ; avant vous pouvez faire dire aux mots ce que vous voulez », remarque L. Langrée qui, « a chaque production à l’impression d’aller plus au cœur de l’œuvre. » Il a beaucoup appris autrefois de la production de Pierre Strosser à Lyon, mais aussi du travail avec Jean-Claude Auvray, Patrice Caurier et Moshe Leiser, Graham Vick, Deborah Warner ou Stephan Braunschweig. La collaboration avec ce dernier, début 2014 à l’Opéra-Comique, aura eu un impact déterminant. « Une révélation, dit celui qui fait le rapprochement avec le film Festen de Lars von Trier ; ces secrets de famille dont on ne parle pas, qu’on ignore mais, quand ils vous sont révélés, vous découvrez qu’au fond, vous le saviez ; mais vous ne saviez rien ... J’ai eu la révélation de la généalogie de Pelléas : Pelléas et Golaud sont les deux petits-fils d’Arkel, Geneviève est la mère de Pelléas et Golaud mais Geneviève n’est pas la fille d’Arkel, elle est un pièce rapportée. Si Pelléas et Golaud sont les petits-fils par Arkel, c’est que leurs pères étaient les fils d’Arkel et donc... étaient frères. A chaque production des couches nouvelles se révèlent à moi. Cette œuvre est un puits sans fond. »
Des couches nouvelles qui se révèlent aussi grâce à tel ou tel chanteur. Le chef ne cache pas son impatience de retrouver Jean-Sébastien Bou (3), « amoureux de la langue française », et Patricia Petibon, « une chercheuse, dit-il. Nous n’avons jusqu’ici pas souvent collaboré mais à chaque fois j’ai été impressionné par sa recherche de la justesse ; de la justesse vocale, de la justesse de l’expression, du poids exact de chaque mot. » Golaud sera incarné par Kyle Ketelsen, qui était son Leporello dans le Don Giovanni aixois de Tcherniakov et que le chef a dirigé il y a peu au Met dans Escamillo. Impatience aussi de collaborer avec Jean Teitgen (Arkel) dont « la simplicité possède une espèce d’élévation ». Quant à Sylvie Brunet-Grupposo ( Geneviève), il la connaît depuis trente-cinq ans. « Je n’oublierai jamais son « J’ai perdu mon Eurydice » lors d’une audition à l’Opéra de Lyon ; nous étions tous en larmes faces à tant d’évidence, de nécessité d’exprimer. »
L’Orchestre National sera « l’outil parfait » pour le résultat sonore auquel L. Langrée aspire : « une définition des timbres absolue, un image sonore globale pas du tout fondue, mais – comme pour un vitrail à Chartres – du vrai rouge, du vrai bleu, du vrai vert, du vrai jaune et c’est justement la vibration de toute ces couleurs extrêmement claires et précises qui va donner cette vibration extraordinaire. L’Orchestre National a ça dans son ADN. Je l’ai entendus avec Haitink en fosse, c’était merveilleux. Et c’est avec le National qu’Ingelbrecht a réalisé (au TCE le 13 mars 1962 ndr ) un enregistrement qui est pour moi un sommet, un himalaya, absolument intemporel. »
Un bonheur ne vient jamais seul et un Pelléas peut en cacher ... deux autres ! Debussy n’est que le premier maillon d’un projet global avec le National, projet qui permet à L. Langrée de donner aussi le Pelleas und Melisande (1902-1903) d’Arnold Schoenberg et la musique de scène de Fauré dans son contexte théâtral.
On n’aura d’ailleurs guère à patienter pour entendre le maestro dans un « chef-d’œuvre méconnu » du compositeur autrichien. Il adore cette partition – hélas bien peu prisée de la plupart des programmateurs... « Un Schoenberg symboliste, comme celui la Nuit transfigurée. Richard Strauss avait parlé de Pelléas à Schoenberg qui caressa un temps l’idée d’un opéra, avant d’opter pour un poème symphonique. » L’Opus 5 occupera la seconde partie du concert programmé le 24 mai, à l’Auditorium de Radio France, précédé du 4ème Concerto de Beethoven sous les doigts de Nelson Freire.
S’agissant de la musique de scène de Fauré, le mélomane devra attendre un peu car elle fera l’objet d’un enregistrement radiophonique, diffusé dans quelques mois sur France Culture. De cette partition écrite pour les représentations de la pièce de Maeterlinck à Londres en 1898, on ne connaît que la suite symphonique qui en a été tirée. « Comme tout chef français, j’ai dirigé la suite de Pelléas de Fauré. Je n’ai jamais trouvé que ça marchait vraiment en concert, avoue L. Langrée, tout simplement parce que ce n’est pas de la musique destinée à être écoutée de cette façon, mais au cours de la pièce de Maeterlinck. La partition de Fauré comprend 18 numéros en tout, dont certains très brefs mais d’une force dramatique extraordinaire ; impossible de la donner en concert sans la pièce. C’est de la musique de théâtre comme il en existait beaucoup autrefois. On ne se situe pas dans un discours musical pur ; la musique évoque ... » Elle aura en l’occurrence le privilège d’accompagner une pièce interprétée entre autres par Denis Podalydès en Golaud et Michael Lonsdale en Arkel.
Pour l’heure, place au Pelléas et Mélisande de Debussy dont Paul Dukas disait en mai 1902 : [....] toutes les phases de l’œuvre apparaissent distinctement sur un fond commun d’émotion et d’humanité, chaque mesure s’affirme correspondante au décor qu’elle souligne, du plus sombre au plus vibrant de clarté, et au sentiments qu’elle peut rendre, des plus tendres, des plus passionnés, aux plus terribles et aux plus mystérieux. »
Alain Cochard
(Entretien avec Louis Langrée réalisé le 25 avril 2017)
(1)Lire l’interview réalisée en mars 2013 : www.concertclassic.com/article/coup-de-coeur-carrefour-de-lodeon-concertclassic-le-propos-dramaturgique-est-essentiel-une
(2)Louis Langrée a été reconduit il y a peu jusqu’en 2022 à la tête du Cincinnati Symphony Orchestra.
(3) Lire l’interview de Jean-Sébastien Bou (et Louis Langrée !) réalisée par François Lesueur le 2 mai 2017 : www.concertclassic.com/article/une-interview-de-jean-sebastien-bou-baryton-jai-eu-envie-de-faire-de-lopera-en-ecoutant
Debusssy : Pelléas et Mélisande
9, 11, 13, 15, 17 mai 2017 – 19h30
Paris – Théâtre des Champs-Elysées
www.concertclassic.com/concert/pelleas-et-melisande-0
Beethoven ( 4ème Concerto) & Schoenberg (Pelleas und Melisande)
Orchestre National de France, dir. Louis Langrée / Nelson Freire (piano)
24 mai 2017 – 20h
Fauré : Pelléas et Mélisande, musique de scène
Enregistrement radiophonique pour France Culture (date de diffusion non communiquée)
Site du Cincinnati Symphony Orchestra : www.cincinnatisymphony.org/
Photo Louis Langrée © Benoit Linero
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