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Musique et Jeune Public (3) – Isabelle Aboulker et Roald Dahl : un mariage joyeux
A l’approche de Noël, pourquoi ne pas choisir comme cadeau pour vos enfants la découverte de l’opéra ? C’est chose facile grâce aux éditeurs Jeunesse qui multiplient les collections de haut niveau destinées aux futurs mélomanes.
Cette année, à l’occasion du centenaire de la naissance de Roald Dahl, Gallimard a passé commande à la compositrice Isabelle Aboulker de la musique de deux des histoires imaginées par le célèbre auteur britannique, Un Amour de Tortue et L’énorme crocodile. De cette collaboration – enrichie de la participation de Quentin Blake, dessinateur attitré de Dahl – sont nés deux livres-disques ; deux splendides réussites !
Isabelle Aboulker est née en 1938, dans une famille imprégnée par l’influence d’un grand-père compositeur, Henry Février (1875-1957), et d’un père cinéaste et écrivain, Marcel Aboulker (1905-1952). Elle suit des études d’écriture et d’accompagnement au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, et compose très vite pour le cinéma, le théâtre et la télévision. Accompagnatrice, chef de chant, puis professeur de chant au CNSM, c’est autour de la voix et de l’opéra que son activité créatrice se concentre à partir de 1981 – année marquée par la création des Surprises de l’enfer.
Les histoires racontées par Roald Dahl flirtent avec le fantastique et l’absurde – épicés d’un savoureux humour anglais – : dans L’énorme crocodile, un crocodile décide de manger un enfant « dodu et bien juteux » pour son déjeuner et met au point des plans et des ruses absurdes que contrecarrent les autres animaux de la jungle. Quant à Un amour de tortue, il met en scène deux personnages, Mme Silver, qui éprouve un amour immodéré pour sa tortue, et Mr Hopkins à qui son amour, lui aussi immodéré mais pour Mme Silver, va inspirer un stratagème pour séduire celle-ci.
Le succès des œuvres de Roald Dahl – qui ne fut pas seulement écrivain mais aussi espion, aviateur et ... historien du chocolat ! – est toujours d’actualité, génération après génération. Pour preuve, la traduction de ses romans dans toutes les langues et la multiplication des versions cinématographiques de ses ouvrages, Charlie et la chocolaterie de Tim Burton n’étant pas la moins fameuse.
I. Aboulker s’est emparé avec bonheur de ces deux histoires drôles et a ciselé, avec la complicité de l’Orchestre de chambre de Paris, du jeune et talentueux chef d’orchestre Pierre Dumoussaud et de trois solistes, deux véritables petits bijoux entre opéra et comédie musicale. « Je ne connaissais pas vraiment Roald Dahl, mes enfants sont trop vieux et mes petits-enfants trop jeunes, je crois que j’avais lu tout de même Charlie et la chocolaterie et Matilda. J’ai tout de suite senti la difficulté : Roald Dahl est un monument. Il fallait trouver l’équilibre entre ce qui serait parlé et ce qui serait chanté. Lorsque je vois une page de texte, je sais tout de suite ce que je vais pouvoir mettre en musique et quand les phrases sont jolies, ma musique n’est pas vilaine. Avec Dahl, je n’ai pas eu trop de mal et je me suis beaucoup amusée ».
Ce qui caractérise en effet le travail d’I. Aboulker, c’est son attention à la prosodie et son exigence dans le choix des textes qu’elle met en musique. Elle s’attelle d’ailleurs à la tâche elle-même et signe souvent l’adaptation de certains de ses livrets, quand elle n’en assure pas la rédaction. « J’aime le théâtre, le verbe, confie-t-elle, et j’aime aussi le bruit du crayon sur mon papier à musique, le bruissement de la gomme, les petits points noirs qui se transforment en rythmes et en sons. Alors, avec plaisir et obstination –et contre toute logique –, je compose des opéras »
Elle se veut également héritière de la tradition française, de Debussy, Ravel ou encore Poulenc : « Je ne sais pas écrire de musique instrumentale intéressante. J’aime mettre en musique les texte : les mots font venir la musique, ou les situations. J’ai besoin d’images et de mots, comme Poulenc ».
Le passé, I. Aboulker s’en nourrit jusque dans sa façon de travailler : « J’écris d’abord pour le piano et ensuite j’orchestre, comme au XIXe siècle ! C’est confortable pour tout le monde ».
Et cela s’entend ! Prononcez le nom d’I. Aboulker devant des chefs de chœur ou des chanteurs confirmés, vous verrez leurs yeux s’illuminer : Isabelle Aboulker, c’est de la Haute Couture ! Qu’elle écrive pour Patricia Petitbon une mélodie, « Je t’aime », que l’on trouve dans le récital « Amoureuses » (1CD DG), qu’elle s’adresse à de jeunes collégiens non musiciens ou aux voix expérimentées de la Maîtrise de Radio France, I. Aboulker soigne toujours ses partitions avec une délicatesse infinie.
Et il semblerait qu’elle et Roald Dahl se soient trouvés : le sens de l’humour, le plaisir des mots de la compositrice se sont facilement mariés avec ceux de l’écrivain et le résultat est une musique pleine de fraîcheur, dans laquelle un trait d’orchestre vient souvent souligner l’ironie d’une situation, ou accentue, en contrepoint, le propos.
Pierre Dumoussaud © L'agence
La réussite de ces deux ouvrages tient aussi aux rapports de l’artiste avec ses interprètes, les chanteurs d’abord. Elle a écrit pour les voix de deux de ses anciens élèves du CNSM où elle enseignait le chant : le baryton Yann Toussaint, dont elle aime le côté verdien et qui connaît bien sa musique, ainsi que le ténor Yves Coudray, qui partage avec elle le goût du théâtre.
S’est rajoutée à eux la délicieuse Anne Baquet, pour qui I. Aboulker a eu le coup de foudre et a écrit une partition lyrique dans Un amour de tortue, où la soprano, plus familière du répertoire de variété, tient l’un des deux rôles principaux. Et pour compléter cette fine équipe, l’excellent François Morel est venu tenir le rôle du récitant.
I. Aboulker souhaitait un chef d’orchestre très jeune : elle loue avec enthousiasme sa collaboration avec Pierre Dumoussaud dont elle partage le goût pour l’esprit de Roald Dahl et a apprécié la qualité de ses rapports avec les musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris. Une expérience vécue « en famille », et que l’on conseille à tous ceux qui, justement, aiment partager la musique.
Mais I. Aboulker ne s’arrête pas là. Elle prépare en ce moment une pièce que lui a commandée le conservatoire de Montauban pour des collégiens autour de la figure d’Olympe de Gouge (sur un livret de Violaine Fournier), une personnalité féminine qu’elle admire pour son courage et sa modernité.
Créé en 2016 à la Cité de la musique par l’Orchestre de chambre de Paris, Un Amour de tortue sera repris par l'Orchestre Chambre de Lausanne le 14 février (1), et L’énorme crocodile occupera l’Orchestre Philharmonique de Radio France en mars prochain.
Les deux livres-disques ont déjà reçus de nombreuses récompenses, un Coup de cœur de l’Académie Charles Cros pour L’énorme crocodile et le Grand Prix du livre audio jeunesse de l’association La Plume de Paon pour Un Amour de Tortue.
Dominique Boutel
(1) https://www.ocl.ch/concerts/les-decouvertes-24-3/
Autres albums d’Isabelle Aboulker chez Gallimard Jeunesse: Douce et Barbe Bleue, Les fables de la fontaine.
www.isabelle-aboulker.com
Photo Isabelle Aboulker © isabelle-aboulker.com
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