Créée à l'initiative de Philippe Lefebvre (président), Olivier Latry (vice-président, ainsi qu'Henri Chesnais) mais aussi beaucoup d'autres, tant l'action est nécessairement collective, l'association Orgue en France fête ses dix ans. Elle s'est donné pour mission de relayer et de fédérer la vie organistique de l'hexagone : musiciens, y compris amateurs, facteurs d'orgue, patrimoine, promotion de la création, actions pédagogiques…, faisant remonter et centralisant – tout en proposant chaque année des Rencontres régionales – les informations émanant des très nombreuses associations réparties sur l'ensemble du territoire (1). Pour fêter cette décennie d'existence, l'association organisait à Paris un week-end public aux multiples ressources (2).
 
Une journée d'étude au CNSMDP fut tout d'abord consacrée à des thématiques variées, dont le futur de l'instrument orgue : facture d'orgue et création ; enseignement ; diffusion, animation. Avec en fin de matinée la présentation officielle de l'Inventaire National des Orgues, consultable en ligne depuis le 22 octobre, plate-forme dont développement et maintenance sont assurés par Orgue en France (3) : 8199 instruments présentement recensés, dont 1636 inscrits ou classés, les contributions de cette base de données en continuelle expansion couvrant pour le moment 47% des instruments. En fin de journée, une visite privée de l'orgue de la chapelle royale de Versailles était proposée aux adhérents. Les deux jours suivants offrirent des rencontres réparties (simultanément) sur deux lieux : L'Atelier (Paris 16), avec la présentation de l'Orgue Gulliver (4), constitué de modules transportables et inspiré (bien que de taille plus importante) de L'Orgue du Voyage de Jean-Baptiste Monnot ; Le Karé (Boulogne-Billancourt) – mais aussi des animations musicales à Sainte-Jeanne-de-Chantal (Porte de Saint-Cloud, orgue Kern, 1977), le week-end se refermant, pour les adhérents, sur une présentation-audition privée, par Karol Mossakowski, de l'orgue Grenzing de l'Auditorium de Radio France.
 

L'orgue de Saint-Eustache © Mirou

Un événement hors normes ponctuait la fête : la Nuit de l'improvisation à Saint-Eustache. Pas une nuit de quelques heures comme dans divers festivals, mais douze heures d'affilée, de 20 heures le samedi à 8 heures le dimanche, à l'heure des croissants. Chacun des soixante improvisateurs (5) disposait d'exactement douze minutes (timing scrupuleusement tenu, à faire pâlir d'envie certaines régies nationales), le suivant se glissant à la console de nef afin d'enchaîner sans rupture – on pouvait craindre pour l'endurance de l'instrument, mais le Van den Heuvel s'est montré lui aussi digne d'entrer dans le Livre des Records.
 
L'inspiration ne se convoque certes pas à une heure aussi drastiquement fixée, mais c'est la collégialité de ce projet fou qui primait, et l'on entendit de fort belles choses, cependant que, le cas échéant, toujours le métier des musiciens invités complétait. Bien des styles furent à l'honneur, d'une veine symphonique à des climats plus personnels (László Fassang, Hampus Lindwall), chacun trouvant une manière particulière de faire sonner l'instrument. C'est au titulaire de Saint-Sulpice, Daniel Roth, qu'il revint d'ouvrir le feu, suivi avec infiniment d'à propos et dans un style si différent par Nicolas Bucher (CMB de Versailles et désormais cotitulaire de l'orgue des Couperin à Saint-Gervais), puis Vincent Thuillier (Reims – depuis 2021 technicien-conseil agréé auprès des Monuments historiques pour les orgues), Jean-Baptiste Dupont (cathédrale Saint-André de Bordeaux), Sophie-Véronique Cauchefer-Choplin (Saint-Sulpice) – première des quatre femmes participant à cette Nuit de l'improvisation. Si la parité est sans doute chose impossible en orgue, la proportion de femmes organistes est néanmoins plus grande – pas pour l'improvisation ? Pour entendre Thierry Escaich, il fallait attendre 00 h 12, pour Olivier Latry 01 h 34 ; s'agissant des titulaires des lieux : 02 h 24 pour Thomas Ospital, 04 h 48 pour Baptiste-Florian Marle-Ouvrard… jusqu'au trio final constitué d'Éric Lebrun, Karol Mossakowski et Philippe Lefebvre. À noter la lumineuse, originale et, rythmiquement, incomparable prestation de Charles Balayer, qui commença dans l'esprit de La complainte de la butte à l'orgue du Gaumont-Palace avant de restituer, plus vrai que nature, l'étonnant orgue Hammond dont il est « le » spécialiste (6). L'orgue de Saint-Eustache rayonnait, d'une liberté et d'une légèreté quasi insoupçonnées.
 
Michel Roubinet

Paris, église Saint-Eustache, 23-24 octobre 2021
www.saint-eustache.org/musique-a-st-eustache/
 
 
 
Site Internet
Association Orgue en France
https://www.orgue-en-france.org
 
(1) Annuaire des associations adhérentes
www.orgue-en-france.org/presentation/annuaire-associations-adherentes/
 
(2) Programme du vendredi 22 au dimanche 24 octobre 2021
www.orgue-en-france.org/journees-anniversaire-10-ans-dorgue-en-france-paris-22-au-25-octobre-2021/
 
(3) Inventaire National des Orgues
inventaire-des-orgues.fr
 
(4) Orgue Gulliver, conçu par Henri-Franck Beaupérin, construit par l'atelier des Frères (Stéphane et Olivier) Robert, Nantes
www.orgue-en-france.org/lorgue-gulliver/
 
(5) Liste des soixante improvisateurs s'étant succédé aux claviers de l'orgue de Saint-Eustache
www.orgue-en-france.org/nuit-dimprovisation-a-lorgue-saint-eustache-23-24-octobre-2021/
 
(6) www.concertclassic.com/article/ouverture-du-festival-paris-des-orgues-2019-dialogues-insolites-avec-linstrument-roi-compte 
 
Photo © Mirou