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Paris - Compte-rendu : De Garnier à Bastille, les tribulations d’une production particulière
Quel est le dénominateur commun des trois productions mozartiennes proposées par Gérard Mortier , Les Noces selon Marthaler, l’Idomeneo de Bondy, le Don Giovanni revisité par Haneke ? On y touche au texte musical de Mozart, en y incrustant des ajouts – Les Noces –, en en modifiant le finale – Idomeneo-, en réinterprétant les récitatifs afin de restructurer le temps dramatique d’un Don Giovanni résolument différent, de loin la plus assumée des trois tentatives de « réécriture ». En d’autres temps, pas si lointains que cela, lorsque Salzbourg et Aix prônaient le respect absolu du texte, on eût crié au scandale, et l’on n’aurait pas forcément eu tort. Non pas que tout doive être écrit dans le marbre, mais le texte mozartien, tout de même, n’est pas quantité négligeable.
Avec cela, la direction d’acteur très pertinente d’Haneke ne prends guère en compte les spécificités du monde lyrique, même si aujourd’hui les chanteurs sont de plus en plus aussi des acteurs. Tant que le duo imbattable des golden boys Peter Mattei-Luca Pisaroni sera là le spectacle gardera son souffre et sa densité, Mais déjà le remplacement de Mireille Delunsch, si parfaitement coulée dans la Donna Elvira d’Haneke lors de la création du spectacle la saison passée par une Arpiné Rahdjian en équilibre instable sur ses talons hauts et surtout plus approximative dans son jeu montre les limites de l’entreprise.
Haneke aurait vraiment du faire, comme il en avait initialement l’intention, un film de son Don Giovanni ; au théâtre il risque de subir plus qu’un autre spectacle l’érosion du temps. Mais pour cette fois, la force un rien démonstrative de son entreprise est toujours aussi prenante sinon sa conclusion : le cadavre du Commandeur, avec corbeille à papier sur la tête, méchamment éclairé dans son fauteuil par une lampe torche, façon otage exécuté, ne convainc pas. Pourquoi ne l’avoir tout simplement pas fait revenir vivant, triomphateur absolu ? Pourquoi ne pas avoir poussé jusqu’au bout la logique de cette réécriture qui éradique l’enfer ?
Point noir de la reprise, la direction. On avait ironisé à loisir - moins ici qu’ailleurs - sur les vertus mozartiennes toutes relatives de Sylvain Cambreling. Du moins avait-il trouvé l’équilibre dans sa direction dramatique avec les étirements et les interrogations virtuelles dont Haneke truffe les récitatifs, dessinant la psychologie de ses personnages au point d’en faire une œuvre parallèle. Michael Güttler, substitué à Edward Gardner, dirige sans aucune tension, faisant au mieux joli et délié avec un orchestre gris trottoir qui confirme que non, décidément, on ne sait pas faire sonner Mozart à l’Opéra de Paris, quelque soit la baguette (pourtant, souvenez-vous de la poésie qu’y suscitait Minkowski dans la Zauberflöte de la Fura dels Baus : las, le voilà exclu - et allez savoir pourquoi ? - de la « Grande Boutique » pour toutes ses prochaines productions). Du coup l’impact dramatique du temps musical si particulier à cette production s’évapore en grande partie.
Mattei demande même à la continuiste, d’un geste un peu ironique, de lui donner son entrée : tout cela flotte à la limite de la déliquescence, mais ceux qui n’ont pas vu la première série de représentations ne le percevront qu’à peine.
On pouvait craindre que la Donna Anna de Christine Schäfer soit irrémédiablement perdue dans le vaisseau de Bastille : du dixième rang on l’entend sans difficulté, mais comment peut-on distribuer Donna Anna à un soprano si exigu, sans médium, qui sauve tout par l’intégrité de son chant ? Et comment ne pas s’inquiéter de la voir programmée en Violetta Valéry pour juin ?
Arpiné Rahdjian n’a pas grand chose pour marquer vocalement son Elvira : timbre plébéien, vocalise incertaine, voix trop lourde et qui ne se laisse que peu contrôler, anti-mozartienne en somme, mais ce soprano de caractère donnera probablement ses fruits dans d’autres répertoires (Verdi ?). Shaw Mathey n’a pas encore la ligne idéale de Don Ottavio, mais il en possède le souffle et son timbre se raffine à mesure que les saisons passent.
Zamojska est trop fluette de voix pour Zerline – comme Karine Deshayes nous manque ici – et sa gestique assez comique est celle qu’elle employait avec un tout autre à propos dans sa Giannetta de L’Elisir d’amore selon Pelly Masetto idéalement rustaud – mais tendre aussi – de David Bizic, commandeur très sonorisé de Mikhail Petrenko. Si vous n’avez pas vu la saison passée cette revisitation inspirée, saisissez l’occasion : son premier décalque en garde l’essentiel des qualités initiales, malgré une direction a contrario du projet général.
Jean-Charles Hoffelé
Don Giovanni de Mozart, Opéra Bastille, le 20 janvier 2007 puis les 24, 27, 29 31 janvier et les 2, 5, 11, 14 et 17 février.
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