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Paris - Compte-rendu : Dieu ne donne pas de bis, Cantates sacrées par Harnoncourt
A défaut d’un bon vieil Oratorio de Noël de derrière les fagots pour la fin d’année, la salle Pleyel a proposé à son public (18 décembre) un tiercé de Cantates sacrées signées, il est vrai, du Cantor de Leipzig et célébrées par un orfèvre Nikolaus Harnoncourt (photo) à la tête de son désormais mythique Concentus Musicus de Vienne et du Chœur Arnold Schönberg. Depuis ses débuts tâtonnants au début des années 50, cet orchestre d’instruments anciens s’est, certes, transformé. D’abord, par le simple glissement des générations, même si l’on y trouve quelques têtes chenues dont on devine qu’elles sont de fondation comme l’organiste ou le bassoniste. Ils ont sans doute aidé le chef à maintenir l’esprit qui a présidé à ses recherches et à ses travaux, car ce qui domine leurs interprétations c’est la ferveur.
Mais les jeunes générations comme le flûtiste et le hautboïste ont apporté une virtuosité et une aisance dans le jeu de leurs instruments moins rebelles qu’au début. Et puis, Harnoncourt qui a considérablement élargi son répertoire en dirigeant les plus grandes formations du monde, du Concertgebouw d’Amsterdam aux Philharmonies de Berlin et de Vienne, s’est en quelque sorte assoupli en perdant la raideur des premiers convertis : plus de ces voix d’enfants à la fois maigrichonnes, aigres et fausses qui vrillent l’ouïe…mais de bons solistes aux voix charnues et rompues au style de l’oratorio ainsi qu’un chœur chez lui sur trois siècles de musique européenne.
En début de soirée pourtant, il faut tendre l’oreille surprise par un son presque grêle, lavé de tout gras romantique, tant la polyphonie des différentes voix y est limpide comparée à la grosse cavalerie des orchestres modernes qui hantent d’ordinaire cette salle. La Cantate BWV 26 (Ach wie flüchtig) passe ainsi dans la discrétion, presque dans le murmure de la prière si inhabituel en ce lieu. C’est un prélude à la grande Cantate de l’Avent BWV 36 qui sonne comme un mini opéra avec ses arias Da capo où s’illustrent Julia Kleiter, Elisabeth von Magnus, Kurt Streit et Anton Scharinger, respectivement soprano, mezzo, ténor et basse. Et c’est le miracle de Bach qui se révèle entre sensualité des timbres et rigueur luthérienne du texte.
Il se renouvelle en un véritable festival après l’entracte avec les sept numéros de la célèbre Cantate Wachet auf BWV 140. L’oreille plane comme enlevée dans les nuages d’un de ces plafonds qui ornent les églises baroques d’Europe centrale : Bach s’autorise - mais soli Dei gloria - une palette de couleurs inouïes dans les dialogues de duos croisés. Car qui l’emporte dans ces joutes pour la beauté de la création : la soprano qui s’unit à la basse ou le violon piccolo qui rivalise de douceur et de mordant avec le violoncelle ? Il faut saluer ici la performance, surtout la tenue du merveilleux violon solo Erich Höbarth, par ailleurs premier violon du magnifique Quatuor Mosaïques : son mini violon chante comme un oiseau dans le Saint François d’Assise de Messiaen.
Le chœur se met au diapason de l’humilité et de la musique de chambre, tout en retenue pour mieux se fondre dans ce paysage sacré. Nombreux sont ceux dans le public qui en redemandent dans leur fringale consumériste : grand prêtre de notre bonheur commun, Harnoncourt revient saluer avec ses complices, bras ballants du grand artisan qu’il est, mais inflexible. Dieu ne donne pas de bis.
Jacques Doucelin
Salle Pleyel, 18 décembre 2007
Photo : DR
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