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Paris - Compte-rendu : Don Carlo à la Bastille - Retour incertain
Lorsque Gérard Mortier concède à monter les opéras du maître de Bussetto, il ose parfois un éclat – comme ce Boccanegra de sinistre mémoire qui semble avoir enterré l’œuvre à tout jamais dans l’esprit des parisiens, eux qui y ont pourtant vu rien moins que l’équipe de la Scala inspirée par la régie exemplaire de Strehler – mais le plus souvent se contente de nouvelles productions illustratives comme le Ballon in maschera puis la Luisa Miller assez tartes de Deflo, ou va rechercher dans les cartons des mises en scène pas vraiment immortelles.
C’était le cas de l’Otello de Serban, c’est aussi celui de cet honnête Don Carlo selon Graham Vick, spectacle de pure convention dont le seul agrément réel reste les vastes décors et les costumes à la Murillo de Tobias Hoheisel.
Cherchez la direction d’acteur, les profils psychologiques des personnages, essayez si vous êtes novice avec l’œuvre, de comprendre les rapports des uns et des autres sans lire le surtitrage, et vous serez bien en peine pour saisir les subtilités du livret de Méry et du Locle d’ailleurs sensiblement rabotées par une méchante traduction.
Tant que l’on est parti pour récriminer, ajoutons ceci : puisque Gérard Mortier nous a rendu La Juive, pourquoi n’a-t-il pas réinscrit au répertoire de l’Opéra de Paris l’original français, ce Don Carlos qui n’a plus retrouvé la Grande Boutique depuis sa création à l’Académie Impériale de Musique, Salle Le Peletier, le 11 mars 1867 ? Il suffit de mettre la version française en face de la version italienne pour faire immédiatement tomber la seconde. La production pourtant très coupée courageusement tenté par le Châtelet voici quelques saisons en a apporté la démonstration, et si l’on veut entendre Don Carlos il faut aller à l’Opéra de Vienne. Etrange situation au moment où l’on nous serine sans cesse la chanson du patrimoine.
Du spectacle tranquille et parfois assez débranché – la confrontation à distance du Grand Inquisiteur et de Philippe ! – il n’y a rien à dire et pas grand chose à garder. Il y aurait par contre beaucoup à dire sur la découverte de cette reprise, le jeune chef grecque Teodor Currentzis : sa gestique démesurée, qu’agace encore une coiffure mouvante, énerve visiblement les musiciens. Pourtant ils auront rarement aussi bien sonné en Verdi qu’en cette soirée : cordes brillantes, cuivres mordants, petite harmonie subtile, les Parisiens se surpassaient aussi bien dans les attaques que dans les phrasés. Et il faut voir comment Currentzis dirige son plateau : on avait oublié qu’un chef lyrique, c’est peut-être d’abord cela.
Distribution inégale : si Yvonne Naef détaille avec art une Canzon del velo assez inoubliable, elle craque tous les aigus de O don fatale. Tamar Iveri fait une Elisabetta aux petits pieds. Le timbre est joli, la voix sans mordant, l’incarnation plutôt falote. Horreur absolue, le Filippo II croassé de James Morris qui massacre comme jamais Ella giammai m’amo. Mikhail Petrenko reste un peu court de grave et d’aigu pour le Grand Inquisiteur, Elisa Cenni pâlissime pour les quelques mots de Tebaldo. Mention spéciale à la voix du ciel, stratosphérique comme il se doit, de la spectaculaire Elena Tsallagova.
On se rembourse avec le couple masculin : grâce soit rendu à Stefano Secco qui sauve Don Carlo : jamais pusillanime, toujours passionné, brisé par le destin et non par son caractère, il est ici comme le veulent Méry et du Locle le digne petit fils de Charles Quint. Et on doit céder toute réserve devant le Posa hautain, ironique, très homme politique de Hvorostovsky : la ligne, le soutien, la noirceur de la phrase donnent le frisson surtout lorsqu’il prend son ultime air très large, dans un quatre temps hypnotique. Pour eux vous pourrez vous laisser tenter, d’autant que les 4, 6 et 11 juillet James Morris laisse son sceptre et sa couronne à Ferrucio Furlanetto.
Jean-Charles Hoffelé
Guiseppe Verdi, Don Carlo, Opéra Bastille, le 26 juin, puis les 1, 4, 6 et 11 juillet 2008.
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Photo : Opéra de Paris
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