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Paris - Compte-rendu : Les papys ont la pêche !
Deux soirs d’affilée, deux compositeurs octogénaires ont prouvé qu’ils tenaient la corde face à leurs fils et petits fils. Je veux parler du Hongrois György Kurtag (photo) invité du Festival d’Automne au Châtelet (6 novembre) où un vaste public subjugué a découvert deux de ses dernières œuvres, et du Français Pierre Boulez qui a dirigé, le lendemain, deux benjamins avant d’embarqué l’auditorium de la Cité de la Musique dans une Dérive rimbaldienne qui atteint aujourd’hui les quarante minutes sans qu’on les voie passer.
La jeune violoniste japonaise Hiromi Kikuchi se promène littéralement dans Hipartita qui lui est dédiée en parcourant la dizaine de pupitres où s’étale la partition : une demi heure de bonheur grâce à la pureté grecque des lignes qui s’enchevêtrent en une architecture digne de Bach. C’est le triomphe de la maîtrise parfaite d’un compositeur parvenu à la vraie sagesse. On reste sous l’emprise de la même souveraine liberté du créateur avec ses six Songs of Despair and Sorrow écrits sur des poèmes russes contemporains. Chacun d’eux est individualisé grâce au souverain équilibre entre sensualité et intellect. A travers la fantaisie et la richesse d’invention, Kurtag fait parfois songer ici au meilleur Britten. Il est servi divinement par l’un des plus grands chefs de choeur européens, Marcus Creed, à la tête du Vokalensemble de Stuttgart et de l’Ensemble Modern à la limite de la perfection. En comparaison, le Shir Shavur pour chœur a cappella du Suisse Heinz Holliger (67 ans) a la froideur d’un jeu d’esprit.
C’est un peu le reproche qu’on pourrait adresser à son compatriote Hanspeter Kyburz (46 ans) dont Boulez dirigea la nouvelle version de Réseaux qui veut retracer les illusions produites par les rouleaux du peintre japonais du XVe siècle, Sesshû. Il fallait Boulez pour démêler les entrelacs de ce sextuor zen. Le chef créa ensuite la dernière pièce du benjamin de la scène musicale, Streets de Bruno Mantovani qui s’inspire lui de ses impressions new yorkaises. C’est un peu son Amérique à lui, pour parler comme Varèse, mais réduite à dix instruments et à un quart d’heure. C’est l’année de tous les excès pour ce magnifique musicien dont Musica a déjà créé cette année un opéra, une cantate et une pièce de musique de chambre. Passer au filtre boulézien – à moins que ce ne soit le philtre…- est un honneur suprême.
Dérive 2 dans sa version définitive constituait la seconde partie de la soirée. Ce jeu du hasard et de la nécessité démontre ce que Pierre Boulez compositeur peut faire dire à onze instrumentistes triés sur le volet, hyper motivés : quelle souveraine oreille pour quelle orchestration ! Jeu permanent, comme celui du chat et de la souris, où l’intelligence défie sans cesse la sensibilité et vice versa. On ne sait qu’admirer le plus de la richesse des rythmes et des tempi, ou des couleurs des timbres dans leur rareté. Tout s’enchaîne et alterne dans une sollicitation permanente de l’intellect et des sens en vue de maintenir d’un même mouvement la tension musicale et l’attention de l’auditeur. Née de sa propre substance, cette musique a la nécessité de toute belle forme, c'est-à-dire que l’intelligence se perd dans sa contemplation. Un vrai chef-d’œuvre.
Jacques Doucelin
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