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Paris - Compte-rendu : l’Idomeneo à Garnier, le monstre n’est pas mort
Eh oui, le monstre n’est pas mort, puisque Idamante n’a pas été immolé par son père aux fureurs de Poséidon. Logique non ? Cette lecture qui a pour conséquence directe de faire biffer le lieto fine en touchant à la musique de Mozart - le finale s’en va decrescendo alors que les lumières s’assombrissent et que la bête rugit- souligne malgré cette maladresse inutile la cohérence d’un spectacle plus abouti qu’on l’a écrit depuis sa première présentation lors de l’ouverture de la saison passée de la Scala. Car enfin, Luc Bondy, en limitant son décor à la seule grève, plus ou moins dévastée, que Mozart réservait au seul deuxième tableau du premier acte, indique bien la couleur : Idomeneo est une œuvre tragique, dont l’histoire même se coule au long des meurtres des Atrides et de l’obsession sacrificielle d’ Agamemnon puis d’Iphigénie. Cette fois encore le sacrifice sera suspendu, mais Bondy ne veut plus laisser croire que tout s’arrangera par la grâce du bon Abbé Varesco. Car en vérité, Idomeneo tue Idamante. Mais pas chez Mozart, chez Campra, et encore abusé par une fureur qui ne lui fait pas voir au moment du meurtre son fils pour son fils. Bondy a voulu retrouver ce fatum mais prisonnier du lieto fine, a rusé avec le numéro final de l’opéra. Puisque le monstre n’est pas mort, puisque Idomeneo n’a pas été absout par le Dieu, qu’il n’a au fond pas su le toucher, tout peut, tout va recommencer.
La désolation de ce spectacle a déconcerté, trop statique a-t-on dit – pourtant, les chœurs « chorégraphiés » par Arco Renz, comme boulés par la grande vague du fond, image d’un tsunami à l’arrêt si menaçant jusque dans sa suggestion stylisée -, les chœurs donc étaient pour une fois dans le mouvement de la musique. Mais on subit en effet un certain statisme, qu’il faut probablement attribué à une direction d’acteur un peu incertaine tout au long du spectacle. Le propos est dense cependant, l’économie des moyens signe une lecture singulière, qui ne cède à aucun effet de mode et montre à nu un véritable art du théâtre que l’on rencontre de moins en moins à l’opéra. Les éclairages volontiers enfumés ou assombris font toute la poétique de ce spectacle à contre courant. On aurait d’ailleurs du rebaptiser l’opéra : Idamante, plutôt qu’Idomeneo, puisque Bondy ne nous parle au fond que d’Idamante, laissant les autres personnages – Ilia surtout – au bord du chemin, mais aussi parce que Joyce DiDonato chante jusqu’à se brûler le rôle du fils qui a accepté le sacrifice. Et elle chante, en technique comme en émotion, très au dessus de tous ses comprimari.
Ramon Vargas, annoncé en méforme, met une touche de bel canto tardif à son Idomeneo, en véritable Pavarotti de poche qu’il est. Bienvenu, mais générique aussi. Comme on aurait aimer entendre ici le métal de Charles Workman qui l’avait remplacé lors de la première. Camilla Tilling chante tout ce qu’elle chante avec un art touchant, mais elle n’a simplement pas la voix d’Ilia : pas assez de médium, pas assez de pulpe, trop monochrome, pas assez assise. Erreur de distribution rédhibitoire pour Arbace : que vient y faire le fort ténor Wagner de Thomas Moser, incapable de vocaliser autrement qu’en comptant et qu’en poussant ? Mireille Delunsch en voix épouvantable compose avec efficacité une Electre qu’elle doit chanter trop souvent le corps cassé en deux. En fosse, rien de nouveau malgré la présence d’une des baguettes autorisées du baroque allemand, Thomas Hengelbrock : cet Idomeneo symphonique, pauvre en couleurs, classique et pas baroque pour un sou a été entendu cent fois et partout. Alors que Marc Minkowski a triomphé avec son Mithridate plusieurs saisons durant à Salzbourg, Gérard Mortier ne pouvait-il lui offrir cet Idomeneo qui lui serait allé comme un gant ? Rien qu’à y songer, on entend déjà rugir les pupitres des Musiciens du Louvre….
Jean-Charles Hoffelé
Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, Palais Garnier, le 5 décembre, puis les 11, 15, 18, 22, 27 et 29 décembre.
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