Journal
Paris - Compte-rendu - Un Berlioz anti-spectaculaire
Foule des grands jours au TCE lors d'une soirée où Riccardo Muti retrouvait l’Orchestre National de France pour le diptyque Symphonie Fantastique/Lélio, avec Gérard Depardieu dans la partie de récitant du rare « Monodrame lyrique » berliozien
De l’éternelle lune de miel du maestro italien avec la phalange parisienne, tout a été dit et redit : une fois de plus l’extraordinaire alchimie entre la baguette de Muti et les musiciens du National a opéré. Dès le début du concert, l’orchestre prend place dans la cage de scène – devant laquelle, en seconde partie, conformément au désir du compositeur, un voile aura été tendu.
La Fantastique a été prétexte à des interprétations spectaculaires, pour ne pas dire histrioniques parfois. On découvre tout le contraire sous la battue tout à la fois précise et envoûtante de Muti. A d’autres les effets, les contrastes excessivement accusés. Impeccablement tenue, mais jamais froide ni boutonnée, sa conception privilégie le travail du détail, la mise en valeur des timbres foisonnants d’un jalon essentiel de l’histoire de la musique symphonique. Le bouillant Hector n’a pas encore écrit son célèbre Traité d’instrumentation et d’orchestration – promis au succès international que l’on sait – mais déjà sa conscience des possibilités offertes par chacun des timbres de l’orchestre s’affirme – et avec quel enivrant génie !
C’est bien la prophétique modernité de l’ouvrage qui préoccupe Muti : que de subtilités, souvent noyées par le tintamarre dans d’autres interprétations, sait-il mettre valeur dans la Marche au supplice ou dans le Songe d’une Nuit de Sabbat. A l’entracte on aurait tendance à regretter la position de l’orchestre dans la cage de scène et selon une disposition totalement horizontale, ce qui tend à gommer une part du relief de l’œuvre ; mais au terme de la soirée ce choix apparaît délibéré, fruit d’une conception résolument anti-spectaculaire et intensément poétique. On peu évidemment concevoir l’oeuvre de manière plus sulfureuse, plus au bord de la folie, mais la vision mutienne ne s’impose pas moins par sa cohérence peu ordinaire.
On a tout autant goûté les options du maestro dans un Lélio d’un profond raffinement musical. La présence de Gérard Depardieu a contribué à attirer des auditeurs peu habitués aux concerts de musique classique ? En tout cas, si nouveau public il y avait il a, comme l’autre, fait montre d’accès de catarrheuse impolitesse, en particulier durant la seconde partie. Passons…
Depardieu n’en est pas à son premier Lélio avec Muti (les deux artistes ont déjà collaboré à Salzbourg et Ravenne). Du texte de Berlioz – un peu ronflant, il faut bien en convenir -, Depardieu s’empare avec ferveur. Pourtant, lorsqu’il clôt la soirée d’un «Adieu, mes amis ! je suis souffrant ; laissez-moi seul ! », ce ne sont pas ses emportements qui restent en mémoire, mais d’abord la prégnante ambiguïté et le zeste d’amertume qu’il a su instiller dans ce « Retour à la vie».
Avec le concours du ténor Marc Laho, de Ludovic Tézier, très investis l’un et l’autre, et du Chœur de Radio France, impeccablement préparé par Matthias Brauer, Muti à quant à lui su rappeler que, si Lélio est une partition inégale (« un étrange bric-à-brac », disait Henry Barraud), elle comporte des moments sublimes. Longtemps après que le concert s’est achevé l’onirique magie de la Harpe élolienne continue d’agir…
Alain Cochard
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 26 février 2009
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Photo : DR
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