Journal
Patricia Petibon et Nahuel di Pierro au Théâtre des Champs-Elysées – Petits bonds avant le grand saut – Compte-rendu
Si le nom de Patricia Petibon est bien connu des mélomanes, celui de Nahuel di Pierro est en passe de le devenir. Réunis par Emmanuelle Haïm qui les apprécie l'un et l'autre, autour d'un solide programme Haendel et Purcell, intitulé « Monstres, sorcières et magiciens », la jeune basse argentine a bien failli supplanter sa collègue.
Particulièrement mauvaise dans un première partie consacrée à Rinaldo, Patricia Petibon se fourvoie en Armida dont elle ne possède ni l'ambitus (sauts d'octaves écrasés), ni la sauvagerie d'une Edda Moser (au Met en 1984) : son « Furie terribili » étroit et atone, chanté sur des œufs nous fait craindre le pire. Et le pire ne tarde pas à arriver avec l'air de la sirène « Il vostro maggio » où la cantatrice pour pallier ses carences musicales et stylistiques, préfère surjouer, prendre des libertés avec la partition, et avec l’assentiment de sa chef !, minauder avec d'insupportables ports de voix et d'exaspérants ralentendi, au lieu de respecter la musique. S'entourant de babioles ridicules comme ce gant à queue de sirène à paillettes qu'elle secoue en tous sens, elle oublie de chanter Haendel et nous fait regretter de nous être déplacés. Mais heureusement Nahuel di Pierro est là, élégante basse entendue à plusieurs reprises en Masetto (1) qui impressionne dès le périlleux air d'Argante « Sibillar gl'angui d'Aletto » dans lequel brillait autrefois Samuel Ramey (à Houston en 1975 et en 1984 au Met, où l'œuvre était donnée pour la première fois, avec Marylin Horne en Rinaldo) : simplicité d'élocution, assurance dans les vocalises, inventivité des da capo, voix ronde et bien projetée, tout ce que l'on attend est là. Dans le duetto « Al trionfo del nostro furore » c'est lui que l'on écoute pour oublier les pitreries de sa consoeur.
Les airs de Purcell nous rassurent : la rigueur et le style de Nahuel di Pierro servent magnifiquement l'air du Génie du froid de King Arthur, avec ses hoquets et ses graves intelligemment négociés, soutenus par le Concert d'Astrée. Sobre et enfin délestée de ses outrances, Petibon exécute alors un très beau « See even night » (The Fairy Queen), laissant planer sa douce voix sous la voûte étoilée, avant d'unir son instrument à celui de son partenaire pour un savoureux « Thus happy and free « (The Fairy queen).
Nahuel di Pierro © Alvaro Yañez
La seconde partie a balayé comme par magie toutes nos réserves. Après une ouverture d'Amadigi un rien raide, la jeune basse en interprétant l'air de Polifemo d'Aci, Galatea e Polifemo « Fra l'ombre e gli orrori » avec ses graves abyssaux répétés et sa tessiture vertigineuse, a révélé tout à coup ses immenses possibilités. Après une telle performance, Petibon s'est ressaisie et pour éviter de se laisser voler la vedette s'est décidée à reprendre la situation en main ; le somptueux lamento « Ah mio core » sommet d'Alcina situé à l'acte 2, chanté comme si sa vie tout entière en dépendait, avec toute la détresse possible, criblé d'émotions, marqué par le désespoir suscité par la trahison de Ruggiero, a remporté un vif succès. De retour sur le plateau Di Pierro a exécuté un somptueux « Nel mondo e nell'abisso » de Riccardo Primo, avant que ne réapparaisse la soprano, toujours sous les traits de la magicienne Alcina, cette fois avec « Ombre pallide » (finale du second acte), où elle a tout osé techniquement, du grave de poitrine à l'aigu-javelot, aux reprises insensées, qui nous ont fait oublier les écarts du début.
Longuement ovationnés les deux artistes n'ont pas résisté au plaisir de chanter encore Purcell et Haendel avec un amusant « Una guerra ho dentro il seno » (Apollo e Dafne), accompagné avec enthousiasme par Emmanuelle Haïm et ses musiciens.
(1) Don Giovanni de Mozart à la Bastille en 2012 et au TCE en 2013.
François Lesueur
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 17 octobre 2015
Photo Patricia Petibon © Bernard Martinez
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