On a déjà eu l’occasion de souligner la réussite du programme Poulenc, Roslavets, Rachmaninoff que le Duo Ermitage vient de signer chez Scala Music.(1) Pour fêter la sortie de ce qui constitue leur tout premier enregistrement, Paul-Marie Kuzma et Ionah Maiatsky avaient rendez-vous à la Piccola Scala dans la Sonate de Poulenc et celle de Rachmaninoff.
Dans une création mondiale aussi, signée du jeune compositeur sud-coréen Wahn Ri-Ahn (né en 1996) : Le Mal du Pays. Un titre bien lisztien qui pourrait laisser imaginer une inspiration pleine de nostalgie. Rien de cela dans une courte pièce très noire et tourmentée, pleine de ruptures, de morsures, plutôt cauchemardesque, que le duo joue d’ailleurs dans la pénombre.

La lumière se fait tandis que les interprètes enchaînent avec la Sonate de Francis Poulenc. Une vieille connaissance : c’est autour d’œuvres telle que celle-ci, ou encore de la Sonate de Rachmaninoff que leur duo s’est formé en 2018 – les deux instrumentistes étaient alors étudiants au CNSMDP – ; témoins de la maturation de leur art, elles les accompagnent depuis. La découverte du disque était déjà un pur bonheur, la vue de la complicité que les musiciens manifestent en concert ajoute au plaisir de l’écoute. La variété d’humeur de la pièce du Français, contemporaine des Animaux modèles et écrite pour Pierre Fournier, déroute parfois, mais ce sont justement sa diversité et sa liberté de ton qui en font tout le charme. Et le Duo Ermitage son miel dans une interprétation humaine et vivante, piquante et tendre, animée d’un élan complice qui exploite à plein l’étonnante palette de couleurs que le Poulenc tire du violoncelle.

© Thomas O Brien

La Sonate en sol mineur de Rachmaninoff n’est pas en reste, une composition où le pianiste se trouve confronté à une partie de clavier absolument redoutable. Elle n’est pas pour dérouter un musicien de la trempe de Ionah Maiatsky, qui domine parfaitement son sujet et ne se laisse pas dévorer par ses exigences. Dans le feu comme le lyrisme, il veille au dialogue avec un archet dont la sonorité pleine et expressive traduit idéalement l’esprit d’un ouvrage qui s’offre avec un remarquable équilibre, entre ses exécutants comme entre les quatre mouvements qui le forment. La grande classe, tout simplement. La musique russe réussit au Duo Ermitage, ce que confirme l’étonnante Sonate n°1 de Roslavets dont on savoure un extrait en bis.
 
On s'impatiente de retrouver Paul-Marie Kuzma et Ionah Maiatsky à la salle Cortot le 5 avril dans le cadre du Festival Elite de l’Ecole Normale.(2) Ils y donneront l’Opus 19 de Rachmaninov, mais aussi la 5e Sonate de Beethoven et, côté raretés russes, la Légende op. 5 de Mossolov – auteur qu’on aurait tort de réduire aux tonitruantes Fonderies d’acier. Notez enfin que vous pourrez aussi entendre le duo dans le cadre de La Belle Saison, le 16 mai à Coulommiers, associé à Ji-Yoon Park (violon) et Joë Christophe (clarinette) dans Rachmaninoff, Roslavets et Adès.(3)
 
Alain Cochard