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Pelléas et Mélisande à l’Opéra de Rouen (Streaming) – Les tortures de Golaud – Compte-rendu
Les premières notes égrenées par l’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie annoncent un Debussy de haute lice. Cordes chaudes et veloutées, bois aux textures mélancoliques concourent à former un bel écrin à ce Tristan de poche. La direction sûre et ardente de Pierre Dumoussaud construit un lent cérémonial de jalousie et de remords. Il se fait iridescent dans les élans maritimes, déchirant dans ces interludes passionnés qui n’ont guère que Wozzeck comme équivalents.
La distribution choisie atteint la perfection. On attendait avec impatience la prise de rôle du très remarquable Nicolas Courjal en Golaud. Allait-il faire oublier la mémorable prestation de Kyle Ketelsen dans cette même mise en scène ? À la rage de l’Américain, à son grain de voix très noir, succèdent le racé impérieux et l’élégance fragile du baryton breton. Phrasé impeccable, intensité du sentiment, pianissimi éperdus d’angoisse et d’espoir, son Golaud est d’une telle richesse qu’il ferait renommer l’œuvre Golaud et Mélisande.
Jean Teitgen incarne le vieux roi avec une humanité qui gomme les interprétations pontifiantes dans lesquelles le personnage est souvent confiné. L’ambiguïté de sa relation avec « petite mère » est soulignée par les plans serrés. Lucile Richardot impose sa Geneviève malgré la brièveté de ses interventions. L’Yniold d’Anne-Sophie Petit est tout aussi peu anecdotique. Et avoir remplacé les moutons par des bateaux de papier offre plus de poids au personnage.
La perverse innocence de Mélisande est servie par le timbre fruité d’Adèle Charvet, d’autant plus troublante dans le rôle que tout, la rousseur, les moues, les attitudes, les gestes -, voire la forme du visage, évoque Scarlett Johansson… Mais la révélation de cette production s’avère le superlatif baryton d’Huw Montague Rendall. Son physique de garçon frêle s’épanouissant peu à peu dans l’amour, sa diction au millimètre, ses couleurs à la fois juvénile et mature, offrent le Pelléas idéal. L’ultime duo avec Mélisande fait effectivement « pleurer les pierres » car un très grand interprète du rôle naît sous nos yeux embués
Vincent Borel
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