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Pelléas et Mélisande à l’Opéra de Rouen (Streaming) – Les tortures de Golaud – Compte-rendu

Contraints comme nous le sommes, il nous faut bien trouver quelques avantages à l’obligation du streaming. La captation en plans très serrés de ce Pelléas permet de redécouvrir la marquante mise en scène d’Eric Ruf qui, lors de sa création en 2017 au TCE, nous avait subjugués. Certes, on perd l’amplitude du décor sombre et aquatique, la magie de ce filet de pêche égouttant ses larmes de pluie durant le premier acte. Et si les subtils éclairages de Bertrand Couderc sont écrasés par la caméra, la complexité du théâtre intime de Maeterlinck se trouve magnifiée par ce regard posé au cœur des sentiments. Golaud, l’un des plus beaux personnages offerts par l’histoire de l’opéra, fait monter les larmes. La progression amoureuse des rôles titres, habillés à la mode préraphaélite par Christian Lacroix, se déploie avec une belle lisibilité. Seul bémol, la cascade des cheveux de Mélisande qui, filmée trop proche révèle un maladroit trucage. Mais c’est bien le seul instant où la captation montre ses limites.
 
Les premières notes égrenées par l’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie annoncent un Debussy de haute lice. Cordes chaudes et veloutées, bois aux textures mélancoliques concourent à former un bel écrin à ce Tristan de poche. La direction sûre et ardente de Pierre Dumoussaud construit un lent cérémonial de jalousie et de remords. Il se fait iridescent dans les élans maritimes, déchirant dans ces interludes passionnés qui n’ont guère que Wozzeck comme équivalents.
 
Adèle Charvet (Mélisande) et Huw Montague Rendall (Pelléas) © Arnaud Bergereau

La distribution choisie atteint la perfection. On attendait avec impatience la prise de rôle du très remarquable Nicolas Courjal en Golaud. Allait-il faire oublier la mémorable prestation de Kyle Ketelsen dans cette même mise en scène ? À la rage de l’Américain, à son grain de voix très noir, succèdent le racé impérieux et l’élégance fragile du baryton breton. Phrasé impeccable, intensité du sentiment, pianissimi éperdus d’angoisse et d’espoir, son Golaud est  d’une telle richesse qu’il ferait renommer l’œuvre Golaud et Mélisande.
 

Pierre Dumoussaud © l'agence

Jean Teitgen incarne le vieux roi avec une humanité qui gomme les interprétations pontifiantes dans lesquelles le personnage est souvent confiné. L’ambiguïté de sa relation avec « petite mère » est soulignée par les plans serrés. Lucile Richardot impose sa Geneviève malgré la brièveté de ses interventions. L’Yniold d’Anne-Sophie Petit est tout aussi peu anecdotique. Et avoir remplacé les moutons par des bateaux de papier offre plus de poids au personnage.
La perverse innocence de Mélisande est servie par le timbre fruité d’Adèle Charvet, d’autant plus troublante dans le rôle que tout, la rousseur, les moues, les attitudes, les gestes -, voire la forme du visage, évoque Scarlett Johansson… Mais la révélation de cette production s’avère le superlatif baryton d’Huw Montague Rendall. Son physique de garçon frêle s’épanouissant peu à peu dans l’amour, sa diction au millimètre, ses couleurs à la fois juvénile et mature, offrent le Pelléas idéal. L’ultime duo avec Mélisande fait effectivement « pleurer les pierres » car  un très grand interprète du rôle naît sous nos yeux embués
 
Vincent Borel

Debussy : Pelléas et Mélisande –  Opéra de Rouen, diffusion en streaming le 26 janvier 2021 ; disponible sur : www.operaderouen.fr/saison/20-21/pelleas-et-melisande/
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