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​Pierre Génisson et Frank Braley au Festival international de Colmar 2024 – Les phrasés du cœur – Compte-rendu

Journées bien remplies que celle du mélomane qui souhaite profiter de toutes les propositions du Festival international de Colmar. Entre les concerts des jeunes talents, organisés à l’heure de midi au Koïfhus en collaboration avec le CNSMDP, et les rendez-vous du soir, orchestraux pour la majeure partie, à l’église Saint-Matthieu, le théâtre municipal accueille tous les jours à 18h une série chambriste où figurent des artistes et ensembles de grande qualité. Une journée après la venue à Saint-Matthieu d’Emmanuel Pahud accompagné par des archets du Philharmonique de Berlin, un autre grand souffleur français, le clarinettiste Pierre Génisson, avait rendez-vous au théâtre avec Frank Braley dans un programme « Mosaïque pour clarinette et piano » qui, de Schumann à Gershwin, a comblé l’auditeur par l’inventivité du dialogue entre les deux instrumentistes.

Quelle poésie, quelle tendresse dans le premier (Zart und mit Ausdruck) des trois Phantasiestücke op. 73 de Schumann dont les mesures initiales, par la qualité du phrasé et l’incroyable délicatesse du coloris, font songer à un regard se perdant, rêveur, dans l’horizon ... Et quel relief, quel plaisir de l’échange dans un bondissant Lebhaft, leicht et un Rasch, mit feuer palpitant d’impatience !

La Sonate n° 1 op. 120 de Brahms s’enchaîne on ne peut plus naturellement. Une œuvre bien des fois entendue mais qui, fuyant l’habitude et le convenu, sait toujours captiver l’oreille ici. Cette pointe d’attente un brin haletante au tout début de l’Allegro appassionato ferre l’attention ; on suit avec bonheur le duo dans quatre mouvements qui sont autant de paysages de l’âme. Op. 120 ; une vie s’achève ... Cet Andante un poco adagio perdu dans le lointain du souvenir, cet Allegretto grazioso et son sourire embué de nostalgie le ressentent on ne peut mieux, avant l’irruption du finale, lumineux.
 

© FIC - Bertrand Schmitt

Page de commande certes – écrite pour l’épreuve de lecture à vue des classes de clarinette du Conservatoire en 1910 –  la Rhapsodie de Debussy dépasse très loin le statut de morceau de concours pour offrir moins d’une dizaine de minutes de musique imprégnée d’un goût de la liberté et d’une fantaisie dont Génisson fait son miel, donnant à la pièce des allures de promenade secrète, tantôt rêveuse, tantôt étonnée.
Dès le trait introductif, qui reconnaît sa dette envers la musique klezmer, on comprend que la Rhapsody in blue a décidé de fuir la routine un peu boîte-à-musique dont pâtit souvent cette pièce fameuse. Génisson et Braley la joue au sein plein du terme avec une énergie et des prises de risques follement excitantes. Les couleurs jaillissent, faisant oublier l’orchestre. Un pur régal, qui se prolonge en bis avec –  suite on ne peut plus logique – un arrangement du Prélude pour piano n° 1 de Gershwin et une pièce de musique klezmer. Un tonique et réjouissant prélude à la soirée avec les Percussions de Strasbourg à Saint-Matthieu !

Alain Cochard

 

 
Colmar, Théâtre municipal, 12 juillet 2024 
 
Photo © FIC - Bertrand Schmitt

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