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Polifemo de Porpora à l’Opéra Royal de Versailles – À poil et à plumes — Compte-rendu
Pour qui souhaite retrouver les fastes de l’opéra seria et ses virtuoses au sommet de leur art, Polifemo de Nicola Porpora a pleinement rempli sa mission dans le sublime cadre de l’Opéra de Versailles. La production, donnée durant trois soirées, restera incontestablement l’un des moments forts de la saison 2024-2025 de Château de Versailles Spectacles. Le dense Orchestre de l’Opéra Royal, l’Académie de danse baroque et ses six élégants danseurs rompus aux minauderies imaginées par le chorégraphe Pierre-François Dollé, livrent une vision haute en couleur de ce chef d’œuvre de Nicola Porpora.
L’œuvre rare est décidément à la fête, si l’on se rappelle la production de Bruno Ravella et Emmanuelle Haïm donnée en février dernier à Strasbourg (1) et reprise en ouverture de la saison de l’opéra de Lille. En 1735, le Napolitain, engagé par l’Opera of the Nobility pour rivaliser à la troupe de Haendel, livra une partition amusante et virtuose. Destiné à affronter Alcina, Polifemo proposait une distribution de rêve : Farinelli, Senesino, la Cuzzoni et la basse Montagnana, tandis que Haendel présentait Carestini, Anna Maria Strada et Cecilia Young. Le mélange subtil de burlesque et de tragique, incarné par deux couples — les coquins Ulysse et Calypso, d’un côté, et les tendres Acis et Galatée, de l’autre —, menacés par le cyclope Polyphème, était taillé sur mesure pour ces géants du chant. L’émulation entre Porpora et Haendel transparaît d’ailleurs dans des airs tels que le Nell’attendere il mio bene (II,5) d’Acis, avec cors obligés, lequel fait écho au célèbre Sta nell’Ircana (III,3) d’Alcina.
© Ian Rice
Pour vêtir tout ce beau monde Christian Lacroix s’est inspiré des tableaux de Versailles. Galatée est une Marie-Antoinette minaudière. Julia Lezhneva, se glisse avec gourmandise dans sa robe couleur eau. Même si l’on est parfois gêné par l’acidité de certaines attaques, la colorature russe invente des cadences démentes, observant d’un œil taquin un public conquis d’avance. Moins pourvue en arias, la Calypso d’Éléonore Pancrazi n’en laisse pas moins une impression mémorable, faisant du da capo de son air de sortie, Il gioir qualor s'aspetta, un numéro de music-hall qui déchaîne l’hilarité de la salle et du chef, le très dynamique Stefan Plewniak.
© Ian Rice
Depuis leurs performances à Strasbourg, les contre-ténors Franco Fagioli (Acis) et Paul-Antoine Bénos-Djian (Ulysse) ont encore affiné leurs rôles. L’Argentin continue d’éblouir, se confondant avec ce que put être Farinelli grâce à une technique toujours aussi hallucinante et une capacité à délivrer des aigus incisifs et des graves profonds en une fraction de seconde. De son côté, Bénos-Djian a mûri son timbre chaleureux, dispensant des portamenti d’une rare éloquence. José Coca Loza, vêtu en géant poilu, campe un personnage mêlant humour et gravité. La mise en scène de Justin Way, littérale et illustrative, abonde en plumes, plastrons, capes et caparaçons. C’est là tout ce qu’il faut pour sublimer cette architecture et ce style musical venus d’un autre temps. On a hâte d’en posséder très prochainement l’enregistrement CD et la captation vidéo effectués par le label Château de Versailles Spectacles.
Vincent Borel
(1) www.concertclassic.com/article/polifemo-selon-bruno-ravella-lopera-national-du-rhin-porpora-cinecitta-compte-rendu
Porpora : Polifemo – Versailles, Opéra Royal, 8 décembre 2024
Photo © Ian Rice
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