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Première (ré)audition de l'orgue du Lycée Henri-IV – Le réveil d'un bel endormi - Compte-rendu
On peut aussi ajouter un bel endormi, l'un des plus petits des lycées de Paris, mais qui sonne grand : l'orgue de la chapelle du Lycée Henri-IV(photo) (6), qui à l'initiative de son proviseur, Patrice Corre, et de l'association Le Paris des Orgues que préside Jean-François Guipont, lui-même ancien proviseur-adjoint d'un autre haut lieu de l'enseignement à Paris, le Lycée Saint-Louis, vient de faire l'objet de quelques travaux. Et Patrice Corre – devançant la question que certains pouvaient se poser : comment, une chapelle dans un lycée public et laïc ? – de préciser que la loi de séparation de 1905 avait opté pour une sorte de statu quo autorisant, lorsqu'ils préexistaient, les lieux de culte à demeurer. La chapelle est ici installée dans le réfectoire voûté de l'ancienne abbaye Sainte-Geneviève, dans l'aile perpendiculaire au chevet du Panthéon, lui-même ancienne nouvelle église Sainte-Geneviève (dont l'orgue Cavaillé-Coll fut transféré en 1891 au Val-de-Grâce)…
Touché par Thierry Escaich lors d'une réunion du Paris des Orgues, l'instrument avait aussitôt révélé un potentiel ravivant l'envie de l'entendre dans de meilleures conditions. C'est ainsi que le facteur Yves Fossaert (7) fut chargé d'un relevage certes modeste mais aux effets bénéfiques immédiats, en attendant une véritable restauration. Commencé par le traditionnel dépoussiérage, le travail a porté sur la manière dont les tuyaux parlent, afin de leur redonner vie et une quasi parfaite égalité : la projection du son est prodigieuse et d'une incroyable présence, pour un orgue de seulement cinq jeux (bourdon, flûte, prestant, doublette, trompette) et deux demi-registres (dessus de hautbois, basse de clairon) sur un clavier de 54 notes et un pédalier en tirasse permanente de seulement 17 marches. L'orgue est signé John Abbey (1785-1859) et daté de 1845, la question se posant néanmoins de savoir s'il s'agit de sa date de construction ou de son transfert à Henri-IV. Selon Yves Fossaert, la facture de cet Abbey est en effet très « classique française » (tuyaux coupés au ton), comme elle se pratiquait encore au début du XIXe, survivance du siècle précédent – et c'est ainsi, en termes d'esthétique instrumentale, que sonne cet Abbey.
L'orgue requinqué a été entendu en concert le 30 juin dans le cadre du riche Printemps des Arts 2016 du « Lycée sur la Montagne » (8) : une surprise de taille inversement proportionnelle à celle de l'instrument. Trois musiciens se succédèrent au clavier. Tout d'abord un élève en classe préparatoire à l'École des Chartes, Joseph Amiel, qui fit entendre les deux premiers mouvements de la Suite gothique de Léon Boëllmann, un peu à l'étroit, puis les Variations sur « O Filii » de Jean-Jacques Beauvarlet-Charpentier : première idée des possibilités de l'instrument, joliment touché, sans la souplesse de ce qui allait suivre, sans doute, mais pour un jeu d'une louable solidité. Henri de Rohan-Csermak, entre autres fonctions conseiller pour les orgues de l'Ariam–Île-de-France, offrit ensuite quatre grandes pièces d'Alexandre-Pierre-François Boëly (1785-1858, parfait contemporain de John Abbey), son lointain prédécesseur à l'orgue de Saint-Germain-l'Auxerrois et dont il a coédité l'œuvre d'orgue aux Éditions Publimuses (9). Entre Mozart et Beethoven pour l'Offertoire op. 9 n°2, puis du pur Boëly, inclassable et somptueux : Quatuor op. 12 n°2, merveilleux Andante con moto op. 18 n°1 et très singulier Duo op. 12 n°2. Programme audacieux sur ce petit instrument, parfaitement à la hauteur, la musique trouvant dans une mécanique on ne peut plus directe, précise et sensible, un soutien des plus efficaces. Audace encore accrue avec le très consistant Offertoire op. 36 n°6 de Louis-James-Alfred Lefébure-Wely, grande page d'un aplomb et d'une richesse excédant a priori et de beaucoup les possibilités de ce petit Abbey – de nouveau grandement à la hauteur, instrument et musique se trouvant magnifiquement servis.
La console est située à l'arrière du buffet, ce qui empêche les musiciens de réellement entendre ce dont l'orgue est capable : bien que l'ayant déjà joué, Thierry Escaich avait choisi de rester dans la nef pendant que ses collègues jouaient, pour enfin véritablement goûter la palette et l'éclat de l'instrument, avant de monter en tribune. De Vierne, il fit entendre deux des 24 Pièces en style libre op. 31 : poétique Prélude et Scherzetto vif-argent, qui sous les doigts d'Escaich évoqua un instrument aux perspectives bien plus vastes, d'une subtilité et d'une capacité rythmique bluffantes. Ce que confirma l'improvisation sur Il court, il court, le furet, thème proposé par Xavier Darcos, ancien ministre de l’Éducation Nationale et président d'honneur du Paris des Orgues : Prélude, Scherzo, Andante et Final. Plus l'orgue est petit, plus le défi est grand… Élévation, esprit, mordant, lyrisme – l'exercice fut à l'image de la maîtrise sidérante que l'on connaît et apprécie chaque fois que Thierry Escaich se met au(x) clavier(s), en cette occasion d'autant plus saisissante que l'instrument, une fois encore a priori, n'aurait d'emblée fait espérer un résultat si profondément musical. Le crescendo final – par l'intensification de l'« écriture » et l'utilisation d'une palette pourtant limitée – laissa l'assistance sans voix.
Le public pourra (re)découvrir ce John Abbey lors du traditionnel Marathon des Orgues organisé par Le Paris des Orgues durant le week-end du Patrimoine des 17 et 18 septembre, les deux pôles de cette année étant précisément les orgues de la Montagne Sainte-Geneviève et ceux des trois églises Notre-Dame entre 6ème et 14ème arrondissements : des Champs, du Travail et du Rosaire (10).
Michel Roubinet
Paris, chapelle du Lycée Henri-IV, jeudi 30 juin 2016
(1) Orgues de Paris
www.orguesdeparis.fr/overview/all-organs-of-paris-sorted-by-arondissement/index.html
On peut trouver, sur certains sites Internet, la seconde édition (2005) de l'ouvrage intitulé Les Orgues de Paris publié en 1992 par l'Action artistique de la Ville de Paris (Collection Paris et son patrimoine)
(2) Orgue de la chapelle de la Sorbonne
orgue.sorbonne.free.fr/index.html
(3) Orgue de l'École Militaire
sites.google.com/site/matrydidier/Accueil/ecole-militaire
(4) Orgues des Salles Marchal, Serres et Duroc de l'Institut National des Jeunes Aveugles
orgue.free.fr/a7o14bis.html
orgue.free.fr/a7o14.html
orgue.free.fr/a7o14ter.html
(5) Cité Internationale des Arts
citedesarts.pagesperso-orange.fr/location-orgue-studio-repetition-auditorium.html
(6) Orgue du Lycée Henri-IV
orgue.free.fr/a5o2.html
(7) Yves Foassaert, facteur d'orgues
orgues-fossaert.com
(8) Lycée Henri-IV – programmation du Printemps des Arts 2016
lyc-henri4.scola.ac-paris.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=580:le-printemps-des-arts-2016&catid=97:actualites&Itemid=117
(9) Alexandre-Pierre-François Boëly – l'Œuvre pour orgue
www.publimuses.com/publimuses/fr/catalogue-boely.html
(10) Marathon des orgues des 17 et 18 septembre 2016
www.leparisdesorgues.fr/nos-programmes/2016/samedi-17-et-dimanche-18-septembre-marathons-des-orgues/
Site Internet :
Le Paris des Orgues
www.leparisdesorgues.fr
Photos © DR
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