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Pulcinella / L’Heure espagnole à l’Opéra-Comique – Drôle de couple – Compte-rendu
Eternel problème des œuvres brèves : il faut trouver un complément de programme, faute de quoi le public se sent un peu floué si la soirée se termine trop tôt. Concernant L’Heure espagnole, on a déjà fait beaucoup de tentatives. Sans remonter à 1911, qui associait les premiers pas de Ravel sur scène à la Thérèse d’un Massenet en fin de carrière, on a souvent voulu fabriquer un diptyque avec L’Enfant et les sortilèges, mais en dehors du compositeur, les deux pièces n’ont pas grand-chose en commun. L’Opéra de Paris a tenté le couplage avec Gianni Schicchi dès 1985, et l’Opéra-Comique avait essayé de rapprocher Ravel du Poulenc des Mamelles de Tirésias. Cette saison, la Salle Favart ose tout autre chose, mais le couple qui en résulte est presque aussi mal assorti que celui formé par Concepción et Torquemada. Certes, Stravinsky et Ravel se côtoyèrent, mais l’esthétique néo-classique du ballet en partie chanté qu’est Pulcinella n’a pas grand-chose à partager avec le style de diction élaboré pour L’Heure espagnole dans le prolongement des Histoires naturelles.
Camille Chopin, Alice Renavand (Colombine) & Oscar Salomonsson (Pulcinella) © Stefan Brion
Pour justifier ce couplage inattendu, l’équipe artistique opte pour un décor unique, ou du moins légèrement modifié après l’entracte : la structure centrale, assez peu utilisée lors du ballet, s’enrichit d’une prolifération d’escaliers qui la transforme en édifice impossible à la Escher, mais ne peut accueillir que les deux horloges indispensables à l’action – au public d’imaginer toutes les autres qu’il entend. A cette relative unité de lieu s’ajoute une certaine unité de temps : Pulcinella est visiblement situé dans les années 1950, et L’Heure espagnole semble également se dérouler vers le milieu du XXe siècle.
Alice Renavand (Colombine), Oscar Salomonsson (Pulcinella), Camille Chopin, Abel Zamora & François Lis © Stefan Brion
Les danseurs de la première partie font un peu de figuration pendant l’ouverture, montant et descendant inlassablement les escaliers, tandis que Concepción et Gonzalve échangent des billets doux. Si la direction d’acteurs de Guillaume Gallienne fait mouche dans l’opéra-comique, respectant la gauloiserie distanciée du livret de Franc-Nohain, la chorégraphie (néo-classique, elle aussi ?) de Clairemarie Osta paraît bien sage dans Pulcinella, dont l’argument a été « simplifié » au point qu’il ne s’y passe à peu près plus rien : le héros devient un amoureux de Peynet, ce qui est gentil mais peu propice à une action dramatique. Les six danseurs (1) exécutent fort bien ce qu’on leur demande, mais ce prologue n’en distille pas moins un certain ennui.
Dans la fosse, malgré la conviction de Louis Langrée, l’Orchestre des Champs-Elysées est à la peine, éprouvé par la partition de Stravinsky qui exige de la plupart des instrumentistes de se faire solistes. Les trois chanteurs donnent le meilleur d’eux-mêmes. François Lis est venu prêter ses graves caverneux aux quelques interventions de basse, les deux autres voix étant issues de l’Académie de l’Opéra-Comique : Camille Chopin tire son épingle du jeu, bien que sollicitée dans un registre un peu plus central qu’à l’ordinaire, tandis qu’Abel Zamora très investi, se montre convaincant dans ses airs.
Nicolas Cavallier (Don Iñigo), Philippe Talbot (Torquemada) & Benoît Rameau (Gonzalve) © Stefan Brion
La distribution de L’Heure espagnole est composée d’artistes plus rodés, à l’exception du bien beau Gonzalve de Benoît Rameau (photo à dr.), capable de donner au personnage sa vigueur lyrique autant que sa préciosité de poète. Philippe Talbot, encore il y a peu interprète de Gonzalve, devient ici un Torquemada de luxe. Nicolas Cavallier compose un Don Iñigo truculent, comme on pouvait s’y attendre, et Stéphanie d’Oustrac (photo à g.) réussit le prodige de renouveler encore son interprétation de Concepción, rôle qu’elle a pourtant beaucoup fréquenté.
Jean-Sébastien Bou (Le Muletier) & Stéphanie d'Oustrac ( Concepción) © Stefan Brion
Jean-Sébastien Bou, enfin, est un muletier de très haute tenue, et chante Ravel comme il respire, avec un naturel confondant, son talent d’acteur servant aussi fort bien le personnage. Dans cette deuxième partie de soirée, l’orchestre, plus étoffé, se révèle beaucoup plus à son aise, Louis Langrée mettant en valeur les nombreux trésors d’une partition où Ravel, comme son librettiste, sut transcender la trivialité du sujet par le raffinement de son écriture.
Laurent Bury
(1) Oscar Salomonsson, Alica Renavand, Iván Delgado, Manon Dubourdeaux, Annna Guillermin, Stoyan Zmarzlik
Stravinsky : Pulcinella / Ravel : L’Heure espagnole. Paris, Opéra-Comique, 9 mars ; prochaines représentations les 11, 13, 15, 17 & 19 mars 2024 // www.opera-comique.com/fr/spectacles/pulcinella-l-heure-espagnole
Photo © Stefan Brion
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