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Renaud Capuçon, Nicholas Angelich, Edgar Moreau jouent Brahms à Piano **** – Passionnément – Compte-rendu
Tension maximale pour l’avant dernier concert du cycle Musique de chambre de Brahms organisé par Piano **** depuis octobre dernier, et non le moindre, car la juxtaposition des Trois trios pour piano et cordes, étagés sur près de quarante années de la vie de Brahms, créait une plénitude de sonorités, de complémentarités, d’inventions dans la variation et l’unisson qui étreignait l’auditeur et ne lui laissait pas un instant de relâche.
Renaud Capuçon, Nicholas Angelich, Edgar Moreau : finesse, lyrisme équilibré, grâce aérée pour le premier, fluidité, adaptabilité aux sautes d’humeur de la musique, merveilleuse transparence pour le second, gravité, profondeur, envoûtante sonorité pour le troisième. Mariage de l’air, de l’eau et du feu que celui de ces trois musiciens au sommet : Moreau, dont on salue la maturité artistique, ajoutée à une facilité prodigieuse, s’étant s’agrégé à l’alliance bien rôdée des deux autres. Tous trois, bien loin de se comporter en solistes fastueux, ce qu’ils sont, communient dans un total effacement des egos, d’une même respiration.
Et Dieu sait que celle-ci est difficile à trouver dans ces trios si denses, où la forme se désagrège parfois par excès d’idées dont aucune ne se laisse vaincre par l’autre. Bref, une écriture extrêmement complexe notamment pour le Trio n°2 en ut majeur, de 1880-1882, sur lequel les trois interprètes ont choisi d’ouvrir leur concert. Le plus difficile des trois sans doute, d’un lyrisme incendiaire à une force parfois oppressante, si différente de la claire mélodie schubertienne, de l’équilibre de Haydn ou du discours libertaire de Beethoven. Impossible de ne pas être interloqué autant que saisi par la petite mélodie à la hongroise qu’il développe dans l’andante, sur laquelle s’enroulent de la façon la moins convenue qui soit les cinq petites variations, développées de façon toujours inattendue.
Les musiciens en ont bravé tous les éclats en une fusion vigoureuse, ardente, avant de prolonger et d’épanouir leur entente dans le Trio n°3 en ut mineur, de 1886, ricochant l’un l’autre sur cet étrange mélange de style rhapsodique, de pizzicati et de glissandi, réunis dans une écriture parfois dure à force de concision. Ici Brahms veut tout dire, de sa passion pour les maîtres anciens et la forme classique, même s’il emploie la structure en quatre mouvements et non plus en trois, à son désir d’être autre, sans s’inféoder aux nouvelles idées en train de s’imposer en Allemagne. Le nordique est là, qui rêve en force, et ne tente pas de séduire mais plutôt de convaincre.
Après une telle intensité dans la pensée musicale, le Trio n°1 en si majeur, joué en conclusion, est apparu comme une sorte d’oxygène, le violoncelle mordoré d’Edgar Moreau en imposant d’emblée le climat de douceur et de bonheur, les couleurs fraîches, la jeunesse en un mot. Rayonnant dans la fameuse Introduction, une des plus belles pages chambristes du compositeur, il était évidemment mis en valeur par la préférence de Brahms, lequel confiait souvent au violoncelle les plus beaux de ses motifs. S’épanouissant ensuite sur le lyrisme délicat du violon de Capuçon, la subtilité du piano d’Angelich, l’œuvre, écrite en 1853 quand Brahms venait de dépasser ses vingt ans, et fortement remaniée en 1891, racontait de multiples émotions, de touchantes rêveries romantiques, bientôt balayées par les temps nouveaux. Amour et vie d’un compositeur, que ce programme puissant, nourri de la pensée de musiciens qui savent en comprendre et en traduire la richesse.
Dernier rendez-vous du cycle Brahms de Piano **** le 27 mai, avec les trois sonates pour violon et piano par Renaud Capuçon et Nicholas Angelich.
Jacqueline Thuilleux
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 21 mai 2019. www.piano4etoiles.fr
Photo © Piano ****
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