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Rigoletto à l’Opéra Bastille – Il était temps – Compte-rendu

 

On a souvent déploré la rareté de vrais chefs verdiens, à ce jour, alors que les pucciniens et autres ne manquent pas. Avec l’entrée en lice dans la fosse de l’Opéra Bastille de Domingo Hindoyan, Vénézuélien installé en Suisse, on peut se réjouir d’en tenir enfin un, dont la direction intense sait ne pas se mettre à l’aune de la sécheresse et de la violence contemporaines et faire onduler tout les remous du discours verdien, les contrastes psychologiques que la musique doit savoir exprimer, la force du drame et le lyrisme déchirant : garder tout au long du récit un parfait équilibre, avec une lucidité à laquelle l’Orchestre de l’Opéra a répondu, livrant une superbe prestation. Et chacun sait combien cette formation parfois rebelle peut être envoûtante quand elle est en symbiose avec le chef.
 

Domingo Hindoyan © Chris Christoloudou
 
Hindoyan, venu de la fourmilière de talents émergés au Venezuela dans Il Sistema, d’abord violoniste puis assistant de Barenboïm au Staatsoper de Berlin, n’est certes pas un débutant : la quarantaine, chef de l’Orchestre Philharmonique de Liverpool depuis 2021, invité des plus prestigieuses formations, il a sonné le grand retour d’un Verdi enfin compris sur la scène parisienne, et reçu un accueil triomphal d’un public bouleversé, étreint par la force du drame musical qui venait d’être vécu.
 
Public bouleversé donc, non seulement par la baguette du chef, et son entente avec l’orchestre et les chœurs, parfaits (le remarquable Alessandro di Stefano est à l’œuvre ici), mais aussi par un plateau d’exception qui a fait de cette reprise du Rigoletto proposé par Claus Guth en 2016 un moment d’intense émotion. En premier lieu, vrai triomphe pour Roman Burdenko dans le rôle-titre. Voix large et puissante, formidablement expressive, présence dure, intense, comme raidie par la haine, moins grotesque que d’autres interprètes du rôle qui forcent sur sa bouffonnerie. Une stature, une clarté d’expression qui font de lui une présence majeure, et qu’on se réjouit de retrouver dans le Trittico  en mai prochain.

 

© Benoîte Fanton - OnP
 

Beaux débuts parisiens en Gilda pour Rosa Feola (1), une soprano colorature qui a déjà promené dans ce rôle ses aigus clairs et fins sur de nombreuses scènes, à la Scala, au San Carlo sans parler du Met et autres plateaux mondiaux prestigieux. Le suivi des représentations l’aidera sûrement à accentuer une présence un peu effacée, sans doute retenue par la légère angoisse de recevoir pour la première fois l’accueil du public parisien, qui fut heureusement enthousiaste. Face à elle, lui aussi nouveau venu, Liparit Avetisyan, un Duc de Mantoue en pleine possession de moyens éclatants, vivant, vibrant et lançant ses airs fameux avec une sûreté confondante. A mettre sur la planète des plus grands ténors, qui sont toujours pièces  rares dans ce jeu d’échecs qu’est l’opéra.

 

© Benoîte Fanton - OnP
 
Autour d’eux, aucune faille chez leurs partenaires, à commencer par l’extraordinaire Sparafucile de Goderdzi Janelidze, énorme présence, énorme voix et indifférence glaçante. Tout comme le bref mais prenant Monterone de Blake Denson. Aude Extrémo en Maddalena façon Lola Montes ou Cabaret et Marine Chagnon dans la trop brève Giovanna ne déméritent pas. Et tous occupent leur place à la perfection.
 
Finalement assez sobre, la mise en scène de Claus Guth semble à ce jour avoir dit tout ce qu’elle avait à dire et c’est tant mieux. Elle s’est comme vidée de ses excès, qui sont d’ailleurs anecdotiques, épurée, et il n’en reste plus qu’un assemblage de boîte de carton conçu par Christian Schmidt, qui indique combien ce drame sordide est vain et que tout s’y écroule, pureté, amour, pouvoir, débauche. Le pessimisme de Verdi.
 
Jacqueline Thuilleux
 

> Les prochains opéras de Verdi en France, Suisse, Belgique <

(1) Lire l’interview de Rosa Feola : www.concertclassic.com/article/une-interview-de-rosa-feola-soprano-gilda-est-une-ame-pure-et-delicate-mais-avec-beaucoup-de
 
Verdi : Rigoletto – Paris, Opéra Bastille, 1er décembre 2024 ; prochaines représentations les 7, 10, 13, 16, 19, 22 & 24 décembre 2024, puis, avec une autre distribution, les 10, 14, 18, 21, 24, 27, 30 mai, 3, 8 & 12 juin 2025 // www.operadeparis.fr/saison-24-25/opera/rigoletto

Photo © Benoîte Fanton - Opéra national de Paris

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