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Roméo et Juliette de Noureev par le Ballet de l’Opéra de Paris - Jeune et fiévreux – Compte-rendu
Roméo et Juliette de Noureev par le Ballet de l’Opéra de Paris - Jeune et fiévreux – Compte-rendu
Etrange comme le même ballet, joué dans la même institution, donc avec les mêmes critères d’interprétation, même si les danseurs changent avec les années tant ils sont éphémères, peut émouvoir ou laisser de marbre. On a dit beaucoup de mal de la chorégraphie de Noureev, qui créant son Roméo et Juliette en 1977 à Londres, l’amena ensuite dans ses bagages au Palais Garnier en 1984. Le rôle lui collait à la peau, bien qu’il n’eut rien d’un adolescent de charme mais plutôt la présence écrasante d’un monstre sacré : au Royal Ballet londonien, où il réallumait dès 1965 une Margot Fonteyn frisant la cinquantaine, il fut incandescent dans la chorégraphie de Kenneth Macmillan.
Passionné de culture Renaissance, fasciné par la violence et la somptuosité de cette époque où les arts et les personnalités explosaient, il sut à son tour, avec la complicité du grand décorateur Ezio Frigerio, tracer une fresque brutale, bouillonnante, où les passions s’entrechoquaient avec une frénésie brute. Tout à fait en symbiose avec la partition de Prokofiev, tracée à gros traits, avec juste quelques éléments d’un lyrisme chavirant. À Paris, donc, on vit alors, porté par la flamme du maître, le couple idéal, Patrick Dupond-Monique Loudières, lui solaire, elle déchirante de poésie fiévreuse. Puis beaucoup d’autres, qui laissèrent souvent froid un public trouvant que la fresque en question frisait les étalages académiques et ostentatoires des spectacles soviétiques.
Paul Marque (Roméo) & Sae Eun Park (Juliette) © Agathe Poupeney- OnP
Et voilà que la jeunesse revient, brûlante, porteuse d’une beauté et d’une folie qui serrent le cœur. Certes, admirer la grâce fluide de la nouvelle étoile, nommée dans ce rôle le 10 avril 2021, la Coréenne Sae Eun Park, la largeur de ses arabesques tournoyées, sa passion évidente, car depuis longtemps cette exquise ballerine montrait un masque fort séduisant mais un peu figé, est un plaisir raffiné. Enfin étoile, et il était temps, car elle a la trentaine, elle scintille. Certes le charme aimable, les arabesques, les pirouettes parfaites de Paul Marque marquent d’une douceur nouvelle le rôle d’un Roméo souvent plus dramatique. Certes le couple est délicatement assorti. Mais surtout le plateau se déchaîne : les danseurs de l’Opéra, momifiés depuis un an, sortent enfin de leur chrysalide et bondissent frénétiquement. Les combats sur la place publique sont virevoltants et hargneux à souhait, la bestialité, voire l’obscénité des affrontements psychologiques, racontent un monde stupide et féroce, ivre de pouvoir.
Et tous ont la rage au ventre, à commencer par le chef Vello Pähn, grand habitué de l’Opéra de Paris, qui transforme sa baguette en un chat à neuf queues, et ne laisse pas souffler l’Orchestre de l’Opéra, au point que le premier acte coupe vraiment le souffle. Une montée en puissance qui ne se ralentit pas, même si l’acte final souffre de quelques redondances, notamment le rêve de Roméo à Mantoue, bien que Noureev ait réussi à épurer de façon presque sèche le faux suicide de Juliette, la mort des amants, et la douleur hébétée des familles.
Et voilà que la jeunesse revient, brûlante, porteuse d’une beauté et d’une folie qui serrent le cœur. Certes, admirer la grâce fluide de la nouvelle étoile, nommée dans ce rôle le 10 avril 2021, la Coréenne Sae Eun Park, la largeur de ses arabesques tournoyées, sa passion évidente, car depuis longtemps cette exquise ballerine montrait un masque fort séduisant mais un peu figé, est un plaisir raffiné. Enfin étoile, et il était temps, car elle a la trentaine, elle scintille. Certes le charme aimable, les arabesques, les pirouettes parfaites de Paul Marque marquent d’une douceur nouvelle le rôle d’un Roméo souvent plus dramatique. Certes le couple est délicatement assorti. Mais surtout le plateau se déchaîne : les danseurs de l’Opéra, momifiés depuis un an, sortent enfin de leur chrysalide et bondissent frénétiquement. Les combats sur la place publique sont virevoltants et hargneux à souhait, la bestialité, voire l’obscénité des affrontements psychologiques, racontent un monde stupide et féroce, ivre de pouvoir.
Et tous ont la rage au ventre, à commencer par le chef Vello Pähn, grand habitué de l’Opéra de Paris, qui transforme sa baguette en un chat à neuf queues, et ne laisse pas souffler l’Orchestre de l’Opéra, au point que le premier acte coupe vraiment le souffle. Une montée en puissance qui ne se ralentit pas, même si l’acte final souffre de quelques redondances, notamment le rêve de Roméo à Mantoue, bien que Noureev ait réussi à épurer de façon presque sèche le faux suicide de Juliette, la mort des amants, et la douleur hébétée des familles.
Jérémy-Loup Quer (Tybalt) © Agathe Poupeney- OnP
Belle envergure dramatique donc, grâce à des interprètes habités, avec des présences qui marquent leur rôle de façon indélébile. Pourquoi d’excellents danseurs peuvent il faire trente-deux fouettés de façon parfaite, être découpés dans leurs pourpoints comme des figures de mode, arborer des muscles de compétition, et qu’on les oublie si vite ? Et pourquoi arrive-t-il que l’un se détache en bougeant seulement le petit doigt ? C’est le cas de Jérémy-Loup Quer, qui fut il y a quelques années un Rothbart fascinant dans le Lac des Cygnes du même Noureev. Certes le jeune danseur est d’une grande élégance de lignes, certes sa technique est plus qu’accomplie, mais il offre surtout le miracle de la présence, tant il monopolise l’attention.
Son terrible et somptueux Tybalt découpant la scène comme une lame de rapière, cruel, l’œil mauvais, ferraillant comme un damné, s’inscrit désormais dans les annales du ballet. Il est heureux qu’avec la complicité d’autres danseurs remarquables, comme le frétillant Francesco Mura en Mercutio, le vigoureux Benvolio de Fabien Révillon et la beauté marmoréenne de Daniel Stokes en Paris, outre l’altière Dame Capulet d’Eve Grinsztajn, la troupe de l’Opéra sorte enfin des limbes, et dans une chorégraphie qui n’obéit pas aux diktats de la mode
Jacqueline Thuilleux
Belle envergure dramatique donc, grâce à des interprètes habités, avec des présences qui marquent leur rôle de façon indélébile. Pourquoi d’excellents danseurs peuvent il faire trente-deux fouettés de façon parfaite, être découpés dans leurs pourpoints comme des figures de mode, arborer des muscles de compétition, et qu’on les oublie si vite ? Et pourquoi arrive-t-il que l’un se détache en bougeant seulement le petit doigt ? C’est le cas de Jérémy-Loup Quer, qui fut il y a quelques années un Rothbart fascinant dans le Lac des Cygnes du même Noureev. Certes le jeune danseur est d’une grande élégance de lignes, certes sa technique est plus qu’accomplie, mais il offre surtout le miracle de la présence, tant il monopolise l’attention.
Son terrible et somptueux Tybalt découpant la scène comme une lame de rapière, cruel, l’œil mauvais, ferraillant comme un damné, s’inscrit désormais dans les annales du ballet. Il est heureux qu’avec la complicité d’autres danseurs remarquables, comme le frétillant Francesco Mura en Mercutio, le vigoureux Benvolio de Fabien Révillon et la beauté marmoréenne de Daniel Stokes en Paris, outre l’altière Dame Capulet d’Eve Grinsztajn, la troupe de l’Opéra sorte enfin des limbes, et dans une chorégraphie qui n’obéit pas aux diktats de la mode
Jacqueline Thuilleux
Prokofiev : Roméo et Juliette (chor. R. Noureev) – Paris, Opéra Bastille, 16 juin ; prochaines représentations les 19, 20, 21, 23, 24, 26, 28, 29, 30 juin 2021, 3, 5, 6, 9 & 10 juillet 2021. www.operadeparis.fr
Photo © Agathe Poupeney-OnP
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