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Rusalka de Dvorak à l’Opéra de Lyon – Rusalka de Bruxelles – Compte-rendu

Une fillette  portant un étui de violon demande son chemin à des passants sur une place de Bruxelles, personnage centrale de la boucle théâtrale qui se répète avant que l’orchestre n’entonne le prélude de l’opéra. Serait-ce Rusalka enfant ?
On découvrait l’art de Stefan Herrheim en voyant, ébahi, cette Rusalka relue entre féerie fantasque et drame sexuel, spectacle créé à la Monnaie de Bruxelles en 2008 et que l’Opéra de Lyon a mille fois raison de reprendre.

Comme toujours la relecture de Stefan Herrheim bouscule les codes : l’Ondin, tout à la fois père, client de Rusalka prostituée, et proxénète devient le personnage central d’un conte très noir dont les féeries décalées - Yézibaba est une SDF incarnée avec une dégaine incroyable par Janina Baechle, formidable de présence scénique et d’opulence vocale - possèdent une magie certaine teintée de fantastique.

Le décor stupéfiant d’Heike Scheele, avec ses insensés changements à vue, bar à tirette, façade d’église baillant comme un immense soufflet d’accordéon, colonne Morris où s’ébat la nageoire de l’ondine avant que la sorcière ne lui accorde l’humanité et ses malédictions, y est pour beaucoup. La transposition dans ce Bruxelles imaginaire qui aurait rejoint Anvers – Le Prince est capitaine d’un quatuor de marins qui se gaussent de lui – laisse l’élément océanique envelopper les amants d’une brume étrange, et ses flots envahissent tout vers la fin de l’ouvrage. Herrheim opère une translation subtile du conte au fait divers, mais y renonce partiellement. Un meurtrier rôde, Jacques l’éventreur de déglingue, qui assassine allégrement, l’enquête avance, il sera arrêté et Rusalka retournera au trottoir.

La distribution assemblée par Serge Dorny est en or, à commencer par le Prince de Dmytro Popov, héroïque à souhait, au ténor radieux et sombre  la fois, au style parfait, Camilla Nylund fait sa naïade un peu froide au I, ironique, on ne croit pas trop à sa supplique à Yezibaba, mais une fois amoureuse elle étonne par l’imagination de son chant. On l’a noté Janina Baechle campe une Yezibaba stupéfiante, tout comme l’Ondin de Karoly Szemeredy, noir à souhait, et quelle performance d’acteur !
La Princesse étrangère d’Annalena Persson est parfaitement frigide, enfermant le Prince dans ce carcan dont il ne saura se défaire. Konstantin Chudovsky dirige avec art, subtilement, toujours plutôt du côté du conte d’où parfois un certain décalage esthétique entre ce que l’on entend montant de la fosse et ce que l’on voit en scène. Mais tant de poésie, même dans Rusalka, cela reste rare.

Le lendemain, matinée pour les enfants : Natalie Dessay narre le Casse-Noisette d’Hoffmann (1) et caractérise ses personnages - Drosselmeier a une point d’accent romand assez irrésistible – avec une virtuosité certaine et une belle fantaisie. Pas un bruit dans l’écrin noir de l’Opéra, juste des rires provoqués sciemment par la narratrice. Quelques numéros de la partition de Tchaïkovski viennent décorer le récit dans une transcription habile pour six instrumentistes (l’Ensemble Agora) signée Luca Antignani. En temps réel, Bastien Vivès dessine les scènes projetées sur écran par le biais d’une caméra, assurant un mouvement constant qui littéralement fascine les enfants. Bien vu, ils seront demain des clients certains pour le ballet de Tchaïkovski.

Jean-Charles Hoffelé

Dvorak : Rusalka – Lyon, Opéra, 19 décembre, prochaines représentations les 23, 27, 29 décembre 2014 et le 1er janvier 2015. www.opera-lyon.com

(1)Casse-Noisette : reprise du spectacle à Paris, Opéra Comique, les 26 et 27 décembre 2014 (14h30 le 26, 11h le 27)

Photo © Sébastien Forthomme

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