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Schubertiade au Festival de Pâques d’Aix en Provence, avec l’Ensemble Pygmalion - D’un même souffle – Compte-rendu

Renaud Capuçon, dont la passion porte haut cette deuxième édition du Festival de Pâques, tenait beaucoup à ce concert hors normes, intégré dans sa série Schubertiade, encore qu’il ait bien peu ressemblé à l’idée historique que l’on peut se faire de ces séances libres et conviviales dont Schubert, à son clavier, était le pivot. Il s’agissait ici d’une plongée au cœur de l’âme germanique, une âme dont le chant choral, contrairement à l’identité française, est un élément majeur. Du choral luthérien au lied schubertien et straussien, un même besoin de dire les sentiments, de creuser la spiritualité, d’analyser le monde, au lieu de les suggérer.
 
Programme totalement atypique pour les oreilles de l’amateur français, à l’exception du Chant des esprits sur les eaux de Schubert, une de ses œuvres les plus connues, et merveilleuse découverte que celle de l’ensemble Pygmalion, déjà fameux,  dans un registre où l’on ne le connaissait que peu, bien que ses interprétations des Passions de Bach et du Requiem de Brahms aient montré sa fibre germanique. Rien de baroque donc, dans ce choix romantique opéré par Raphaël Pichon (photo), et dont la force venue des profondeurs, permise par un très subtil assemblage des voix et de la disposition des choristes, a bouleversé le public massé dans la Cathédrale Saint-Sauveur. Ce malgré une acoustique  tournoyante qui n’est pas idéale pour apprécier la finesse d’un tel travail.
 
Mais l’esprit soufflait sur cette succession de motets, psaumes et lieder de Mendelssohn, Schubert et Brahms, auxquelles en bis, Pichon ajouta en toute logique une pièce de Bruckner, digne héritier de Bach. Un répertoire venu de loin, donc, dans les mentalités plus que dans le temps, et créant un pont entre Schutz et le romantisme, grâce au chant choral, lequel, éveillé par Luther, connut dans l’Allemagne des années 1820  un essor remarquable, les sociétés chorales se multipliant dans la vie civile.
 
Il aurait fallu réécouter ce concert à de multiples reprises pour saisir la subtilité avec laquelle Raphaël Pichon l’a construit, intellectuellement, musicalement et vocalement : d’entrée de jeu le motet de Brahms, Warum ist das Licht dem Mühseligen , écrit sur le Livre de Job et d’une extraordinaire richesse polyphonique, parfaite pour mettre en valeur la graduation des registres de l’ensemble Pygmalion. Ensuite un visage du Mendelssohn profondément croyant, celui qui venait de réveiller la Passion selon Saint Matthieu en 1829 et composait Réformation en hommage à Luther, avec le motet aux riches couleurs Mitten wir im Leben sind et le psaume Richte mich Gott.
photo © Caroline Doutre
 
Puis, Brahms à nouveau : si Fest und Gedenksprüche, qu’il composa pour remercier la ville de Hambourg de l’avoir - enfin - fait citoyen d’honneur, n’est pas sa pièce la plus originale ni la plus émouvante, on a pu y apprécier une extraordinaire écriture polyphonique, vrai tour de force pour les chanteurs, lesquels déployés en double chœur, doivent donner un éventail du style choral depuis Schutz  et Gabrieli. Une performance, tout comme le style antique, voire archaïque, du Geistliches Lied, de 1860, qui rappelle combien Brahms était un extraordinaire chef de chœur, au point que lorsqu’il quitta Hambourg, sa chorale féminine donna son dernier concert en voiles noirs !
 

photo © Caroline Doutre

 
Schubert, lui, outre ses quelques 600 lieder, n’écrivit pas moins de 185 chorals, dont Raphaël Pichon a tiré quelques pépites, avec au piano un David Kadouch aussi engagé et flamboyant qu’un organiste, et surtout le fameux Gesang der Geist über den Wassen, d’après Goethe, dans sa version de 1820, la D704 pour voix d’hommes et cinq cordes. Le sommet de la soirée par sa splendeur harmonieuse et pourtant inusitée : on a donc vu entrer en lice, l’archet levé comme des mousquetaires, Gérard Caussé, Renaud Capuçon, heureux de tenir la partie d’alto - sur un Patrik Robin - et la toute jeune garde du violoncelle, Edgar Moreau et Victor Julien-Laferrière, autour de l’extraordinaire contrebasse de l’Autrichien Alois Posch, qui pénétrait les voûtes et les corps. Même si la version de 1821 est aujourd’hui la plus fréquente, celle-ci en renouvelait l’écoute, avec son subtil mélange de chromatisme et de sérénité planante. Une méditation musicale jouée d’une même respiration par musiciens et choristes, et reçue avec recueillement par un public touché au cœur. Inoubliable.
 
Jacqueline Thuilleux
 
Aix-en-Provence, Cathédrale saint Sauveur. Le 23 avril 2014.
 
Photo © Caroline Doutre
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