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Shakespeare au musée - Une interview de Christian Rivet, guitariste
Après un superbe premier enregistrement De Visée/Jolivet(1) il y a une demi-douzaine d’années déjà, le guitariste Christian Rivet invite à un nouveau voyage à travers les siècles avec un programme singulier et envoûtant qui marque son entrée chez Naïve - un projet réalisé en collaboration avec le musée de la Cité de la musique(2). Ancien élève d’Alexandre Lagoya, interprète curieux et éclectique ; à son aise sur l’archiluth autant sur la guitare moderne, dans le grand répertoire comme dans l’improvisation, Christian Rivet répond à concertclassic.
Un programme réparti sur quatre siècles de Dowland aux Beatles en passant par Britten ; du luth et de l’archiluth à la guitare moderne : comment avez-vous imaginé l’étrange voyage musical que vous venez d’enregistrer sous le titre « 24 ways upon the bells » ?
Christian Rivet : L’idée de départ était de réaliser un voyage de vingt-quatre heures dans un musée virtuel et il me fallait trouver une unité pour rassembler toutes ces époques. J’ai songé à un carnet de route que l’on aurait retrouvé dans les poches de Shakespeare après sa mort. J’ai imaginé un Shakespeare désargenté, gardien de musée – à l’époque où il écrit le Songe d’une nuit d’été - en face d’une horloge écossaise qui lui donne à chaque quart des thèmes de chansons écossaises qu’il ne supporte pas et qui le réveillent. On trouve dans ce disque aussi bien des œuvres originales que des harmonisations, voire des improvisations. On peut lire le programme de ce disque à divers degrés, c’est une sorte d’énigme ; un mini-polar où l’on peut emprunter différents chemins qui nous conduisent dans les salles d’un musée virtuel. Il y a beaucoup d’improvisations dans Dowland, comme on le faisait à l’époque : le thème est exposé et ensuite on improvise – ce que j’ai fait en temps réel. Je me suis amusé à cacher des thèmes de carillons – qui sonnent vraiment à Edimbourg ou à Londres - dans ces improvisations.
Qui peuvent-être également réalisées sur des thèmes des Beatles…
C. R. : Je me suis livré à une petite expérience avec Here Comes the Sun : j’ai fait écouter des passages précis de ce morceau, un peu oublié, des Beatles à des élèves en leur demandant de donner une époque et…c’est à la musique élisabéthaine qu’ils ont pensé ! Car il n’y a pas en Angleterre cette scission que nous connaissons en France entre musique populaire et musique savante et c’est aussi le propos de ce disque que de le souligner.
Comment s’est effectué le choix des divers instruments que vous utilisez ?
C. R. : J’avais à ma disposition les instruments du Musée de la musique. J’ai essayé à peu près tout ce qui était jouable. Je souhaitais utiliser à la fois des instruments dits « populaires » comme la guitare, aussi bien que des instruments de musique savante tels que le luth ou l’archiluth – un instrument vraiment fantastique ! J’ai choisi une guitare Gibson pour Yesterday, qui est une pure improvisation, un instantané - d’après une chanson que Takemitsu a d’ailleurs adaptée.
Et pour le Nocturnal after Dowland de Britten ?
C. R. : Je souhaitais montrer, dessiner la mélancolie, mais pas la tristesse. J’ai essayé de trouver un timbre très spécifique, avec un temps de réponse, de durée de vie de la corde qui me permette d’adopter le tempo que j’avais en tête. Il ne fallait pas que la guitare sonne trop ; je cherchais une définition sonore précise dans cette œuvre qui demande de la netteté. J’ai été élève d’Alexandre Lagoya au CNSM et je lui avais promis – lors d’une conversation autour d’une glace, je me souviens – de jouer un jour la guitare qu’Ida Presti (3) avait choisie chez Simplicio, la dernière fabriquée par ce luthier. C’est finalement cet instrument que j’ai utilisé – une forme d’hommage…
Des concerts avec le flûtiste Emmanuel Pahud se profilent pour la fin de l’année à l’étranger. Un partenaire que vous connaissez depuis longtemps je crois ?
C. R. : Nous nous rendrons en Allemagne et au Japon (une douzaine de concerts) en octobre ; une tournée en Chine est en préparation. Emmanuel et moi nous nous connaissons depuis très longtemps, depuis les années d’études au Conservatoire, en classe de musique de chambre. Ce qui est magique avec lui, c’est que nous élevons notre niveau de jeu ; pas au sens technique mais nous atteignons des « ailleurs » en créant une introspection assez intense. Chaque fois que nous nous retrouvons les choses sont différentes et le plaisir entièrement renouvelé. Et nous avons de beaux projets qui se préparent.
Sinon, parallèlement a nos concerts japonais, j’aurai l’occasion (au luth) de donner des cours, de partager des philosophies vaut-il mieux dire, avec des joueurs de koto. Des échanges stylistiques qui m’intéressent énormément.
Dans un avenir plus proche vous jouerez Villa-Lobos le 15 juin, au musée d’Orsay(4). Quelle est l’originalité du compositeur brésilien dans son approche de l’instrument ?
C. R. : J’ai des projets discographiques autour de Villa-Lobos et, à Orsay, je le jouerai à côté d’œuvres de Leo Brouwer. Ce que je voulais montrer c’est de la musique populaire mais traitée d’une manière idiomatique à la guitare, par des compositeurs qui arrivent à se détacher de l’idiome justement et qui ne se perdent pas. Quand on écoute Villa-Lobos à la guitare, c’est vraiment Villa-Lobos – il était guitariste il est vrai, ça aide…
Pour ce concert je ne jouerai pas plusieurs instruments, comme assez récemment à la Cité de la musique. Cela-dit, c’est un exercice que j’apprécie. Jouer, c’est bien sûr « jouer » au sens premier, mais ce sont également des moments privilégiés où l’on découvre les rapports que l’on peut avoir avec des choses qui nous sont obscures ; une grande introspection.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 18 mars 2010
(1) 1 CD Zig Zag Territoires
(2) « 24 ways upon the bells », Dowland, Britten, The Beatles / 1CD Ambroisie/Naïve AM 183
(3) Première épouse d’Alexandre Lagoya, la guitariste Ida Presti (1924-1967) avait formé avec ce dernier un duo très populaire dont le disque conserve la mémoire.
(4) Auditorium du musée d’Orsay, 15/06 – 12h 30 - www.musee-orsay.fr
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Photo : DR
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