19 septembre 2021 : on sort du concert Caroline Shaw de l’ensemble I Giardini au Festival Musique(s) Rive Gauche (1), tout à la fois enthousiasmé par la découverte de la musique de chambre de la compositrice américaine et frustré de devoir patienter un an avant de disposer du disque prévu par la formation co-dirigée par Pauline Buet et David Violi. Mais Alpha a rigoureusement tenu les délais et l’enregistrement, remarquable, était disponible à l’automne dernier, interprété par les mêmes instrumentistes que ceux réunis à la salle Colonne un an plus tôt, à l’exception de Thomas Gautier remplacé par Shuichi Okada. (2) On ne pouvait mieux accompagner le 10e anniversaire de la fondation d’I Giardini !
 

David Violi, Caroline Shaw et Pauline Buet © Laurence Revol 

« Lorsqu’on me demande : « Alors, à quoi ressemble votre musique ? » je réponds parfois : « C’est un peu comme le sashimi. », confie Caroline Shaw. C’est à dire qu’elle est souvent faite d’accords et de séquences qui sont présentés dans leur état brut, nu, précieusement naturel – d’une fraîcheur et d’un nouveauté éclatantes, et pourtant extrêmement familiers. » Précieusement naturelle : la formule conviendrait parfaitement pour dire la manière foncièrement libre, raffinée, nullement pédante ni tributaire d’un système, avec laquelle l’artiste se meut parmi les notes, aussi attentive à la manière dont elle les ordonne qu’au matériau sonore en lequel elles s’incarnent.
 
Le public messin aura le bonheur de retrouver les Giardini le 17 janvier à l’Arsenal, dans un programme identique à celui de leur disque. Autant dire qu’il entendra une œuvre qui ne figurait pas dans le concert parisien de 2021 : The Wheel. Et pour cause ; ce n’est que quatre jours plus tard, au Festival Musica Strasbourg, que Pauline Buet et David Violi ont créé cette prenante pièce pour violoncelle et piano – une commande des Giardini – que C. Shaw décrit comme « un bref voyage à travers un paysage fait de souvenirs musicaux ».
 

Pauline buet, Léa Hennino, Schuichi Okada, Eriko Minami, David Violi © Vertiephotos
 
Le violoncelle est un instrument cher à l’artiste américaine, qu’elle y a fasse appel en solo, à partir d’un thème de Thomas Tallis dans In manus tuas, associé à des pots de fleurs (confiés à la percussionniste Eriko Minami, pour un résultat assez époustouflant !) dans l’électrisant Boris Kerner, ou encore à l’alto dans Limestone & Felt, qui montre combien la compositrice sait jouer des timbres et des textures. Des qualités qui s’expriment avec autant d’art au piano solo dans Gustave Le Gray (2012) : une envoûtante composition, bâtie autour de la Mazurka en la mineur op. 17 n° 4 de Chopin, dont David Violi signe une version d’une grande intensité.
Afin que le panorama de la musique de chambre soit complet, le pianiste et les archets de Schuichi Okada, Léa Hennino et Pauline Buet interpréteront aussi Thousandth Orange, dont ils avaient assuré la création française à Paris dès septembre 2020. Probante illustration s’il en est de la capacité de Caroline Shaw à construire et à faire naître la beauté à partir du matériau le plus simple – une progression de quatre accords en l'occurrence – que cette pièce de 2018.
 
Signalons enfin au public rennais que les Giardini seront présents aux Champs Libres, le 25 janvier (à 12h), dans le cadre du festival Autres Mesures, avec un programme rassemblant Thousandth Orange et le Quatuor avec piano op. 61 de Mel Bonis, partition dont ils ont offert une convaincante interprétation il y a quelques années (Evidence).(3)
 
Alain Cochard