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​Tosca sous la direction de Daniel Harding au Parco della Musica de Rome – Dramatisme assumé – Compte-rendu

Dire que ce concert inaugural était attendu est un euphémisme. Premier de la saison de l'Orchestre de l'Accademia Nazionale di Santa Cecilia, hissé au plus haut par le charismatique Antonio Pappano durant son long mandat (2005-2024), et premier pour son successeur, Daniel Harding. La tension était donc palpable le 21 octobre dans le vaste auditorium Parco della Musica où la firme discographique DG avait installé ses micros pour capter Tosca, titre puccinien choisi pour fêter le centenaire du compositeur et rendre hommage à la ville éternelle où se situe l'action.

Pour le chef britannique qui n'est pas spécialiste de ce répertoire, le pari était risqué, mais on comprend aisément les motivations qui l'ont poussé à frapper un grand coup alors qu'il entre en fonction. L'orchestre dont il hérite, animé par la flamme singulière d'un vrai chef de théâtre et de concert, est au sommet de ses capacités. Après avoir alterné œuvres lyriques et symphoniques et parcouru une grande partie de l'histoire de la musique, les membres de l'Accademia peuvent désormais tout jouer et répondre à la lettre aux moindres sollicitations.

 

Jonathan Tetelman (Cavaradossi) & Daniel Harding © Accademia di Santa Cecilia/MUSA

Daniel Harding l'a bien compris, ce qui lui permet d'aller à l'essentiel et de plonger l'auditeur dès les premiers accords au cœur d'un thriller où chaque élément a son importance. Sa manière de traiter cette intrigue policière, politique et amoureuse qui vire au drame est admirable, tant elle progresse dans un perpétuel climat d'incertitude où l'accalmie n'a pas sa place. Les motifs musicaux qui caractérisent chaque personnage se détachent avec netteté, comme chacun des détails qui fourmillent dans cette partition, avant de s'agréger en un inextricable ballet où chacun devient la proie de l'autre, un loup pour l'autre, avant que la mort ne les réunisse. Avec cette Tosca tendue comme un arc, au dramatisme assumé mais sans débordement emphatique, dont les accents vibrants et mesurés excitent notre attention, nous voilà comme rarement intrigués et enthousiastes face à la vision d'un maestro qui trouve d'emblée le ton et ouvre ainsi de merveilleuses perspectives pour la suite.
 

Eleanora Buratto (Tosca) © Accademia di Santa Cecilia/MUSA

Le cast lui aussi est brillant, dominé par le ténor Jonathan Tetelman, d'une santé vocale étincelante, dont le timbre d'une suave morbidezza et l'aigu somptueusement conduit ne sont pas pas sans évoquer ceux de Corelli, des atouts mis au service d'un Cavaradossi au charme profondément latin, fier, ombrageux et émouvant.
 

Ludovic Tézier (Scarpia) © Accademia di Santa Cecilia/MUSA

Pour sa seconde Tosca, Eleanora Buratto ne cherche pas à composer un personnage qui risquerait de la dépasser, aucune référence à d'illustres devancières, aucune volonté de faire plus ou différemment, mais le désir de viser juste, de chanter avec sincérité, respect et de jouer la femme amoureuse avec fougue, la femme piégée avec fragilité et la femme exaltée avec réalisme. Les moyens sont là, indéniablement plus affirmés que dans une récente Butterfly à Paris, la voix résistant aux assauts attendus d'un rôle parfaitement écrit et dans le cas présent des plus gratifiants.

Autre satisfaction, la présence de Ludovic Tézier dans ce Scarpia qu'il maîtrise désormais comme aucun autre. L'art du diseur est une fois de plus à son acmé, le comédien et le chanteur se confondant avec génie pour traduire le doucereux machiavélisme de ce personnage aux aspirations sordides. Le bronze patiné du timbre, l'aigu toujours cinglant et le texte distillé comme un poison en font un interprète tout simplement extraordinaire. Comprimari (1) triés sur le volet et chœur grandiose (préparé par Andrea Secchi) complètent le premier d’une série de trois concerts inauguraux particulièrement suivis.
 
François Lesueur

 

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(1) Distribution complète :  santacecilia.it/concerto/puccini-tosca-daniel-harding/
 
Puccini : Tosca (version de concert) – Rome, Auditorium Parco della Musica,  21 octobre 2024

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