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Tristan and Isolde dansé par Saburo Teshigawara à Metz - la spirale de la transcendance - compte rendu
Jusqu’au vertige ! C’est bien là que Saburo Teshigawara nous mène avec cette incursion wagnérienne, cette synthèse dansée de Tristan and Isolde, créée l’an passé à Tokyo, dans son mini théâtre expérimental Karas (1). A cet homme mûr aux allures d’ascète, requis par les plus importantes scènes du monde, on a envie de dire « maître », comme aux très grands, Neumeier et Kylian, et naguère Robbins et Béjart. Il a bien évidemment trouvé une place d’honneur en parallèle de l’exposition Japanorama, en cours au Centre Pompidou Metz : avec un cycle ouvert sur une installation-performance, qui se continue sur une prochaine création par le Ballet de Lorraine, au Bam de Metz, et dont le noyau est ce Tristan and Isolde donné un soir à l’Arsenal.
Difficile d’évoquer clairement la complexité de cet univers gestuel et cérébral, qui emmène loin des conventions classiques (auxquelles il fut pourtant formé), ou du fourbi de la création contemporaine. Un mot s’impose : fascinant, et notamment dans ce Tristan vertigineux. Autour d’un axe d’acier, le tremblement de terre des bras spiralés, des ondulations serpentines, des points d’appui changeants qui arrachent à la pesanteur, bien qu’il y ait peu de sauts chez lui.
Familier de musique contemporaine ou de Bach, il s’est offert ici une part de lion en s’immergeant dans l’opéra, conté, transcendé , réduit à l’essence , avec Rihoko Sato, son habituelle partenaire et assistante au sein de son groupe Karas (corbeau) créé en 1985, et s’est appuyé sur l’une des plus flamboyantes versions jamais enregistrées, celle de Karl Böhm à Bayreuth.
© Mariko Miura
Dès les premières notes, dès la première image de Tristan prostré, dans de vagues vêtements noirs qui éliminent toute anecdote, le délire s’installe. Autour de lui, dans l’obscurité, aucun décor, mais de grands rideaux latéraux courbés, qui évoquent le vent, le large, le vaisseau. Et lui, tordu, déchiré, les bras partant du cœur, comme autant d’élans d’amour affolés, criés des mains, balbutiés des jambes.
Puis Isolde émerge, fine et noire Rihoko Sato, secouée de la même extase désespérée, visage émacié et impassible contrastant avec la frénésie des mouvements, corps brisé ou déployé jusqu’à l’envol final. Grâce au subtil jeu d’ombre et de lumière qui les cerne (signé Sergio Pessanha), les deux silhouettes apparaissent et disparaissent comme dans un espace mental, qui ne structure ni le lieu ni le temps.
Dire qu’on est emporté, noyé dans ce délire douloureux, cette solitude cosmique, cette interrogation sur l’au-delà de l’amour, est peu pour décrire l’étrangeté de la vision de Teshigawara, même s’il ose parfois frôler la narration, pour rythmer un peu le récit dans l’écriture torride de l’opéra. Cette descente en flèche au cœur du drame dont Wagner lui-même trouvait les résonances dangereuses, marie ascèse et passion d’une façon inouïe. Et qu’il est bon que le couple ne soit pas incarné par de jeunes et jolis danseurs dont la beauté détournerait l’attention de l’essentiel, mais par deux êtres au physique sobre, comme le roseau dont on ne retient que la courbe. Leur corps ne parle que le langage de l’âme. Un alambic !
Jacqueline Thuilleux
(1) www.st-karas.com/index_en/
Tristan and Isolde, Saburo Teshigawara, Arsenal, Metz, 9 février 2018. Transparent Monster, avec le Ccn Ballet de Lorraine, 16 février 2018. www.citemusicale-metz.fr
Exposition Japanorama, jusqu’au 5 mars 2018. www.centrepompidou-metz.fr
Photo © Akihito Abe
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