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Trois questions à Agnès Letestu à propos d’« Aliénor, Variation sur l’Amour Courtois » – Sous les atours d’une grande dame
Sujet complexe, que celui évoqué par cette pièce. Comment s’est mise en place cette aventure singulière ?
Agnès LETESTU : Grâce à mon amitié avec Alain Marty, qui depuis des années était hanté par le thème de l’amour courtois et du conflit entre cette forme d’amour et celui, brutal, de l’époque, surtout axé sur la reproduction, qui faisait que les femmes occidentales d’il y a près de mille ans n’étaient en rien respectées en tant qu’êtres humains. Aliénor, petite fille du premier des troubadours, Guilhem d’Aquitaine, l’un des plus grands seigneurs de son temps, avait une personnalité exceptionnelle qui en fit une féministe avant l’heure. On sait que mariée deux fois, d’abord au Roi de France Louis VII, puis au roi d’Angleterre Henri II, elle participa aux Croisades, fut quasi-prisonnière en Angleterre où son rude mari la surveillait de près, engendra une ribambelle d’enfants, dont le fameux Richard Cœur de Lion, et marqua son temps plus qu’aucune autre. Passionnée d’art, friande de beaux objets et de riches vêtements colorés, aux formes avantageuses, alors que ceux des femmes d’alors était plutôt monacaux, elle fit de sa cour un lieu d’échanges raffinés, où les troubadours purent éclore librement et poser les codes de cet amour courtois si étrange, si subtil, si codé. La pièce tourne donc autour des rapports ambigus entre le troubadour qui la chante pendant une dizaine d’années, avant qu’ait lieu le temps du jazer, en langue d’oc, point culminant de cette cour, moment fatidique où la dame, nue, permet à l’amoureux de la toucher, et peut-être d’aller plus avant… Elle se doit de vérifier si elle le tient sous son contrôle. Face à ces rapports ineffables, la figure violente d’Henri II, qui veut la posséder en maître.
Agnès Letstu, Vincent Chaillet & Harold Crouzet © © Patrick Fischer
Comment se construit artistiquement la pièce ?
A.L. : Un trio donc, mais d’abord avec le support de la viole de gambe d’Albertin Ventadour, musicien absolument hors normes, qui a composé une musique correspondant à ce qu’on sait de l’époque, mais y a entremêlé des extraits enregistrés d’œuvres classiques, notamment de la 7e Symphonie de Beethoven, et de Salomé de Richard Strauss, outre des séquences électroniques. Pour incarner le troubadour, Marty a choisi un comédien qui soit capable de bouger, sinon danser, Harold Crouzet , et pour Henri II, le formidable Vincent Chaillet, que l’on voit revêtu d’une cotte de maille. Lui aussi a fait toute sa carrière à l’Opéra, dont il s’est éloigné avant l’âge sacramentel du départ, et il est aujourd’hui maître de ballet au Capitole de Toulouse, chez Kader Belarbi. Le contraste est saisissant entre ces deux figures. Quant à moi, j’évolue au cœur de ce jeu de séduction, à coup de tenues qui varient constamment , claires et fluides, avec l’explosion d’une cape écarlate pour marquer la royauté d’Aliénor, à la limite de la nudité pour le jazer, et avec aussi une petite cotte de maille pour montrer ma force de caractère. Tout un assemblage de figures très théâtrales, dont Alain Marty a un sens très fin, et quelques symboles très parlants, comme le fait que je sois parfois avec un pied nu, pour mes rapports avec le troubadour et en chausson de l’autre côté, comme une arme face au roi .
Vincent Chaillet & Agnès Letestu © Patrick Fischer
Vous avez la cinquantaine, âge où beaucoup de danseurs classiques sont exténués. Comment faites-vous pour rester inchangée ?
A.L. : J’ai toujours su prendre mes distances avec les excès en matière de risques physiques. Et sans pour autant négliger l’engagement scénique, j’ai pu me garder des catastrophes qui affectent tant de mes camarades. Je garde un entraînement quotidien, je suis suivie par un excellent kinésithérapeute, et j’ai pu mener de nombreux projets depuis mon départ de l’Opéra. Ma passion, mon envie de danser sont intactes, et l’envie d’aborder de nouveaux sujets me tient au corps. J’ai pu notamment participer au début de l’été à un Rigoletto à l’Opéra de Nancy, qui a été une magnifique aventure et sera repris à Luxembourg cet automne (1). Et puis, il y a toujours sur ma table les grandes maquettes des costumes que je dessine, mon autre métier: une deuxième vocation, (on se souvient notamment de ses merveilleux costumes pour Les Enfants du paradis de José Martinez à l’Opéra de Paris en 2008 ndlr (2) ). Ici, bien évidemment c’est moi qui ai joué avec tous ces voiles d’Aliénor-Salomé et ses multiples facettes. N’avait-elle pas inventé la culotte, pour mieux monter à cheval ?!
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 7 septembre 2021
(2) www.concertclassic.com/article/les-enfants-du-paradis-au-palais-garnier-le-grand-retour-aux-sources-compte-rendu
« Aliénor, Variation sur l’Amour Courtois » - Paris - Théâtre du Gymnase- Marie Bell, les 26, 27 septembre, les 11, 18, 25 octobre 2021/ theatredugymnase.paris/alienor/
Photo © Patrick Fischer
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