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Un piano dans la montagne/Carmen au Perreux (Compagnie Sandrine Anglade, en tournée jusqu’au 15 mars) – Gitane bout filtre – Compte-rendu
Même si les mélomanes n’ont plus eu l’occasion de voir une de ses mises en scène depuis quelque temps (depuis Die Tote Stadt à Limoges en 2019, ou Chimène ou le Cid de Sacchini, spectacle créé en 2017 mais encore repris cette année), Sandrine Anglade n’oublie jamais que, femme de théâtre, elle est aussi femme d’opéra. C’est le désir d’associer ces deux formes qui lui a fait concevoir le projet fou de monter Carmen, mais avec les moyens d’une troupe de théâtre, une Carmen sans orchestre ni chœur, mais avec de vrais morceaux d’opéra dedans. L’objectif était d’abord de s’emparer d’une œuvre emblématique qu’aucun théâtre ne lui avait encore proposée, de la traiter à sa manière et de pouvoir la porter dans des salles qui ne sont pas faites a priori pour la musique. Une Carmen filtrée pour n’en retenir que l’essentiel, que les morceaux les plus saillants, sans récitatifs évidemment, mais encore plus parlée que cela n’était la coutume naguère à l’Opéra-Comique.
© Compagnie Sandrine Anglade
Premier filtre musical : le remplacement de l’orchestre non pas par un ensemble de chambre, ni par un unique clavier, mais par quatre pianos, comme Les Noces de Stravinsky, auxquels s’ajoutent parfois un violoncelle et une trompette. Il convient donc d’abord de saluer ici le travail accompli pour l’occasion par Nikola Takov, dont la « réduction » sonne magnifiquement, la superposition des quatre instruments permettant de respecter la richesse de la partition de Bizet, avec ses harmoniques et ses contre-chants. La trompette était nécessaire pour les effets militaires, et le violoncelle vient apporter sa chaleur à quelques moments-clés (même s’il paraît moins indispensable dans le duo final, qui s’accommoderait de plus de sécheresse).
© Compagnie Sandrine Anglade
Avec deux portants chargés de costumes, les quatre pianos forment en fait tout le décor, et ils ne cessent de bouger tout au long de la représentation, les lumières achevant de transformer le plateau nu au gré des besoins de l’action. Et s’ils sont confiés à quatre instrumentistes, il arrive aussi que certains des chanteurs/acteurs y jouent quelques notes, et surtout, les pianistes – dont le susdit Nikola Takov, également directeur musical – ne cessent d’intervenir en tant que voix parlées ou chantées : tous contribuent au chœur, la plus étonnante restant Julie Alcaraz qui est également violoncelliste et qui interprète une pimpante Frasquita dans le trio des cartes.
© Compagnie Sandrine Anglade
Deuxième filtre appliqué à l’histoire de la gitane : la réécriture des dialogues par le complice habituel de Sandrine Anglade, Clément Camar-Mercier, qui avait brillamment traduit pour elle La Tempête de Shakespeare et s’apprête à récidiver pour un Conte d’hiver annoncé pour 2025. Le texte parlé est ici modernisé, avec un humour qu’incarne notamment le personnage du récitant tenu par Florent Dorin qui, non content d’aider le spectateur à entrer dans la représentation, cumule divers petits rôles, dont Lilas Pastia et le guide conduisant Micaëla chez les contrebandiers.
Troisième filtre : même sans modifier la fin comme se le sont permis d’aucuns, cette Carmen-ci affirme vigoureusement le caractère libertaire du personnage principal en y ajoutant un questionnement féministe, par exemple sur les stéréotypes auxquels sont soumises les sopranos à l’opéra, où la masculinité peut s’avérer aussi toxique que les cigarettes fabriquées à la manufacture de Séville.
Et si les dix artistes présents sur le piano incluent quatre pianistes et deux comédiens, dont l’épatant Rony Wolff, il y a bien quatre chanteurs lyriques pour assurer les quatre rôles centraux. Antoine Philippot fait d’Escamillo un baryton léger mais n’en campe pas moins un toréador convaincant (et le public sera invité à chanter à son tour pour l’entrée de l’Espada au dernier acte, entraîné par l’irrésistible ardeur de la maîtrise du Conservatoire du Perreux, naturellement présent pour la « Garde montante »). Parveen Savart semble vocalement un peu plus à l’aise en Mercédès qu’en Micaëla, bien que sur le plan théâtral, elle serve brillamment un personnage déniaisé par la réécriture du livret.
En alternance avec Blaise Rantoanina, Pierre-Emmanuel Roubet peut compter sur la solide expérience acquise en incarnant des premiers rôles lors de nombreuses éditions du festival Opéra des Landes pour surmonter brillamment toutes les embûches de Don José. Quant à Manon Jürgens, elle est un peu la révélation de ce spectacle, cette jeune mezzo étant encore à l’aube d’une carrière qui pourrait la mener loin, grâce à un timbre chaud, une diction précise et une aisance en scène dans un personnage ô combien emblématique.
Laurent Bury
Prochaines représentations : à Vincennes le 21 janvier 2024, Choisy-le-Roy le 23 janvier, Rosny-sous-Bois les 26 et 27 janvier, Meudon le 1er février, Saint-Germain-en-Laye le 8 février, Bourg-en-Bresse les 14 et 15 mars 2024 // www.compagniesandrineanglade.com/spectacles-un-piano-dans-la-montagne-carmen
Photo © Compagnie Sandrine Anglade
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