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Une interview de José Luis Basso, Chef des Chœurs de l’Opéra de Paris - « C’est le chœur qui transmet l’énergie de l’œuvre au public »
Pour les Chœurs de l’Opéra de Paris, l’année 2018 et la saison 2018-2019 s’avèrent bien remplies ...
José Luis BASSO : Entre l’Opéra Bastille et le Palais Garnier, la saison est effectivement énorme pour les Chœurs de l’Opéra de Paris et il faut une bonne santé et une bonne tête pour gérer cette programmation. Nous assurons actuellement les chœurs de Tristan et Isolde et des Huguenots et nous préparons ceux de la Cenerentola et de Simon Boccanegra, en pensant déjà aux Troyens (à l’affiche de la Bastille, du 22 janvier au 12 février 2019 ndlr).
Comment se passe la rencontre des Chœurs avec les Huguenots, ouvrage que l’on n’a pas entendu à l’Opéra de Paris depuis 1936 ?
J.L. B. : Nous sommes tous très motivés par le fait d’interpréter un ouvrage qu’aucun de nous n’a abordé auparavant et nous éprouvons un grand plaisir à le donner. Dans cet opéra, le chœur est un vrai protagoniste tant il intervient dans de nombreuses scènes et la musique qui l’accompagne dégage une énergie incroyable. Je le constate chaque soir en voyant comment les artistes du chœur interprètent leurs rôles de façon passionnelle. Ils s’impliquent totalement et le résultat est excellent.
La musique de Meyerbeer est d’ailleurs très exigeante et reflète sa culture musicale éclectique ...
J.L. B. : Oui, le compositeur a mêlé différents styles dans son ouvrage pour en augmenter la dramatisation : le 1er acte est très rossinien tandis que le second semble baroque, que la grande scène de la consécration du poignard ressemble à du Lully et qu’on entend aussi un grand choral luthérien et des duos mozartiens. Il inaugure ainsi le grand opéra à la française et le chœur doit à chaque acte modifier son style. Mais les Chœurs de l’Opéra de Paris sont très bien formés à tous les styles et ils maîtrisent parfaitement cette difficulté. Avec cet ouvrage, Meyerbeer se montre précurseur avec le principe de la mélodie continue qui sera repris et copié par Wagner et Verdi. Il innove aussi dans la façon de traiter les chœurs en pratiquant l’œuvre d’art totale, où chaque élément, chaque intervenant se met au service de l’action. Ainsi, le chœur final des Huguenots qui se réduit après chaque nouvelle fusillade rend la scène très dramatique et a inspiré Verdi pour la fin des Vêpres siciliennes ou son chœur d’Eboli de Don Carlos, et même Poulenc dans les Dialogues des Carmélites.
Comment s’est déroulée la préparation du chœur pour les Huguenots ?
J.-L. B. : Nous avons étudié en premier lieu la partie technique : la musique, le texte et le rythme. Puis je leur ai surtout fait travailler la déclamation. Il y a des passages où les artistes de chœur doivent presque parler et, comme les solistes, ils doivent savoir chanter sur le souffle. Cela donne une grande vérité théâtrale au chœur et c’est magnifique. La façon d’interpréter une phrase traduit un caractère de façon parfois plus forte que le mouvement physique. Mais le plus important, à mes yeux, est de transmettre au chœur la conviction que nous ne faisons pas un travail de routine. Même s’il chante vingt fois le même morceau, il faut qu’à chaque fois il s’étonne et conserve la capacité de se surprendre. Le public ressent tout de suite quand on lui donne quelque chose de nouveau et il adore.
Le chef d’orchestre intervient-il dans le travail du chœur ?
J.-L. B. : Il arrive qu’il ne soit pas d’accord avec ce que je crois être les bonnes instructions à transmettre au chœur. De ce fait, je dois rester très ouvert, même si ce que demande le chef peut paraître difficile à réaliser. De toute façon, j’ai pour principe de toujours écouter les autres intervenants : le chef d’orchestre, mais aussi les artistes du chœur. Tous peuvent apporter quelque chose à notre façon de chanter, en particulier au niveau des nuances, car ils nous indiquent leur ressenti pendant les répétitions. Nous pouvons ainsi changer notre façon de chanter en fonction de ce que nous apprenons sur l’acoustique de la salle ou sur l’orchestre.
Quand savez-vous que le chœur sera bon ?
J.-L. B. : L’opéra reste un spectacle vivant ; il est donc sujet aux incidents de parcours. Mais le chœur ne dépend pas comme les solistes de la forme physique d’un de ses membres. Lorsqu’on a bien travaillé, il en reste toujours quelque chose. Après, le chœur donne parfois plus et parfois moins. Mais si nous avons fait un bon travail préliminaire, si la mise en scène est bonne et que le chef d’orchestre est bon, le résultat est toujours excellent.
Le public parisien aime-t-il les chœurs ?
J.-L. B. : A Paris, le chœur est toujours ovationné à la fin du spectacle. Le public s’identifie à lui car il aime les sentiments collectifs, ce que Verdi et Wagner ont bien compris en écrivant de grands airs pour les chœurs. Aussi, je suis convaincu que, dans le théâtre d’opéra, le plus important est que le public reçoive le message expressif du chœur. C’est le chœur qui transmet l’énergie de l’œuvre au public et si nous nous considérons comme un protagoniste, le public nous ressent bien comme cela. J’ai donc une très grande confiance dans les Chœurs de l’Opéra de Paris et dans leurs capacités. Ils ont su faire de Moses und Aron un point culminant des chœurs d’opéra.
Qui sont les artistes des Chœurs de l’Opéra de Paris ?
J.L. B. : Ce sont des professionnels qui ont passé des concours très exigeants et qui pratiquent un métier très difficile. L’opéra a changé et on n’entre plus dans les chœurs comme autrefois parce qu’on ne pouvait pas devenir soliste. Aujourd’hui, les chœurs d’opéra ne sont plus statiques et les artistes de chœur doivent s’adapter aux besoins nouveaux comme d’être capables de chanter dans tous les styles musicaux et dans toutes les langues. Ils doivent maîtriser la technique vocale, savoir préparer un ouvrage très vite, s’adapter à la mise en scène et chanter en bougeant ou en jouant. Ils doivent aussi avoir une grande résistance physique. Je suis enchanté de travailler avec les artistes des Chœurs de l’Opéra de Paris et j’ai une relation fusionnelle avec eux. Je sais, à l’oreille, quand l’un d’eux manque pendant la répétition car chaque artiste de chœur a son importance et son identité et je m’efforce de valoriser cela. C’est la base de notre succès.
Vous avez une formation de pianiste et avez étudié la direction d’orchestre dans votre jeunesse. Comment en êtes-vous venu à consacrer toute votre carrière aux chœurs ?
J.L. B. : Mes parents étaient artistes de chœur et ils m’ont transmis la passion des chœurs : j’ai chanté dans une maîtrise et, dès l’âge de 12 ans, j’accompagnais les chœurs au piano. J’ai vite réalisé que mon destin était d’être avec les chœurs. J’aurais voulu chanter ténor dans un chœur d’opéra, mais je n’ai pas une voix suffisante. Et puis, je ne voulais pas être sur le devant de la scène. Être à côté me convient. De la même façon, pour l’avoir tenté, je ne veux pas diriger à la fois le chœur et l’orchestre. Je préfère le travail du pétrissage de la masse chorale. J’aime les chœurs et mon travail m’a toujours apporté beaucoup de satisfaction.
Propos recueillis par Michel Grinand, le 21 septembre 2018
Les 10, 13, 16, 20 et 24 octobre (à 18h, 14h le dimanche)
Paris – Opéra Bastille
www.operadeparis.fr/saison-18-19/opera/les-huguenots
Photo © E. Bauer - OnP
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