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Une interview de Marko Letonja, directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg – « Chostakovitch est le dernier des grands symphonistes »
Directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg depuis 2012, Marko Letonja (photo) a imprimé sa marque à la phalange alsacienne. Concertclassic l’a rencontré alors que s’achève bientôt (les 7 et 8 février) un Cycle Chostakovitch auquel le chef slovène accorde une place importante dans le cours d'une saison par ailleurs marquée par une résidence du violoncelliste Jean-Guihen Queyras.
Vous êtes directeur musical de l'OPS depuis septembre 2012. Si vous deviez faire le bilan des ces presque sept années, quels événements marquants retiendriez-vous?
Marko LETONJA : Je me souviendrais d'abord de ma première tournée avec l'orchestre en février 2014. Nous avions fait une série de concerts en Allemagne, Autriche, et Slovénie, dans des salles aussi prestigieuses que la Herkulessaal de Munich ou le Musikverein de Vienne. Vienne où nous avions joué la 7ème Symphonie de Beethoven, ce qui représentait un véritable challenge pour moi.
Je me souviendrais également de notre dernière tournée en Corée du Sud, car nous y avons été reçu avec les honneurs, comme un grand orchestre ambassadeur de la musique française. À l'Arts Center de Séoul, une très belle salle où nous avons joué la Symphonie fantastique de Berlioz, l'accueil du public a été extraordinaire.
Je suis aussi très heureux d'avoir pu collaborer ces dernières années avec des artistes « en résidence » à l'orchestre : la compositrice finlandaise Kaija Saariaho par exemple, mais aussi Philippe Manoury, Peteris Vasks... ; ce qui a permis d'élargir le répertoire de l'orchestre à des compositeurs contemporains aux styles parfois radicalement différents.
Enfin je suis très fier, même si je ne faisais pas partie du projet, du récent enregistrement d'une version concertante des Troyens de Berlioz par l'orchestre sous la direction de John Nelson (pour Erato ndlr). J'ai soutenu ce projet depuis le début et je trouve le résultat tout simplement magnifique.
© Sean Fennessy
Vous êtes actuellement en plein cycle Chostakovitch. Que représente sa musique pour vous ?
M.L. : Chostakovitch est le dernier des grands symphonistes : son œuvre traverse tout le XXe siècle, de l'époque de Stravinski à celle de Ligeti, mais reste malgré tout fidèle à ses obsessions et son style des débuts. C'est aussi un grand compositeur de musique de chambre, car si on étudie son œuvre en détail, on remarque que c'est dans ce domaine qu'il a exprimé avec encore plus de précision sa vision de l'humanité. Beaucoup d'études ont souvent mis en avant l'aspect politique de sa musique, mais à titre personnel cela m'intéresse moins, car j'estime que son opposition au régime soviétique n'est pas l'unique moteur de sa créativité. Par exemple dans l'Adagio de sa 13ème Symphonie « Babi Yar », composé en mémoire des massacres antisémites perpétrés pendant la seconde guerre mondiale, sa musique transcende les querelles politiques de l'époque pour s'adresser à l'humanité tout entière. Même si je ne suis pas juif, je me sens profondément touché par ce message.
Par deux fois dans la programmation de ce cycle, vous avez pris le parti d'associer une symphonie de Haydn avec l'une des dernières de Chostakovitch. Comment justifiez-vous ce choix pour le moins inattendu ?
M.L. : Effectivement je dois dire que je n'ai jamais vu de concert mettant ces deux compositeurs en parallèle, même si cela a déjà sûrement été fait par le passé. Mon idée était simple : je voulais réunir le père de la symphonie, Haydn, avec son dernier grand représentant selon moi, Chostakovitch, ceci afin de faire ressortir les points de convergence ou de divergence pouvant exister entre eux. Par exemple je trouve que la couleur orchestrale propre au début de la 49ème Symphonie de Haydn, un Adagio très sombre, ressemble étonnement à l'atmosphère générale de la 14ème Symphonie de Chostakovitch, qui est une œuvre hantée par la mort ; à l'inverse, le caractère amusant et brillant de la 73ème Symphonie de Haydn, qui évoque une scène de chasse à courre, n'a définitivement plus rien à voir avec la Symphonie « Babi Yar » de Chostakovitch, où c'est plutôt de « chasse à l'homme » dont il est question.
Jean-Guihen Queyras © Marco Borggreve
Pour cette saison votre artiste « en résidence » est le violoncelliste Jean-Guihen Queyras, qui a d'ailleurs participé au cycle Chostakovitch. Comment se passe votre collaboration ?
M.L. : Dans le cas de Jean-Guihen, je peux dire que c'est extrêmement « facile » de travailler avec lui. En effet, c'est quelqu'un qui veut s'investir à tous les niveaux de la vie orchestrale, pas seulement en tant que soliste. Il est aussi un excellent chambriste, passionné, comme en témoigne son interprétation de Messagesquisse dimanche dernier (le 27 janvier ndlr), une œuvre de Pierre Boulez pour violoncelle solo et six violoncelles. Qui plus est, sa capacité à s'exprimer avec aisance et à transmettre sa passion au public est un atout précieux de notre collaboration, à l'heure des réseaux sociaux et de la communication permanente. Sur le plan éducatif, Jean-Guihen s'implique également dans notre partenariat historique avec le Conservatoire de Strasbourg. C'est donc pour moi une résidence « idéale ».
Vous avez dirigé beaucoup d'opéras dans votre carrière. Êtes-vous satisfait du partenariat de l'OPS avec l'Opéra national du Rhin, cette autre grande institution musicale strasbourgeoise?
M.L. : Contrairement à mon prédécesseur Marc Albrecht, qui n'avait dirigé qu'une seule fois à l'Opéra national du Rhin pendant son mandat (Fidelio de Beethoven en 2008 ndlr), je souhaitais venir à Strasbourg avec la possibilité de diriger un opéra par saison et donc de renforcer le lien entre ces deux institutions. Cette possibilité m'a été accordée par la Ville et j'en suis donc cette année à mon septième opéra : Beatrix Cenci de Ginastera, qui sera donné fin mars. Chaque année l'orchestre passe environ 30 à 40% de son temps à l'Opéra, ce qui est énorme : il me paraissait donc normal en tant que chef de l'accompagner au moins une fois par an dans cette activité, d'autant que ma collaboration avec Eva Kleinitz, son actuelle directrice, est excellente à tous les niveaux. Le seul souci que j’ai avec l'OnR est sa fosse d'orchestre, qui représente un énorme problème pour nous, notamment d'un point de vue acoustique, et nous oblige à travailler, que ce soit l'OPS ou l'Orchestre Symphonique de Mulhouse, dans des conditions absolument impossibles. Je lance d'ailleurs un appel aux politiques pour que la situation change, quitte à ce que le bâtiment soit rénové, car on ne peut pas continuer ainsi.
Propos recueillis par Samuel Aznar le 1er février 2019
Orchestre Philharmonique de Strasbourg, direction Marko Letonja / Pavel Hunka (basse), Chœur national d’hommes d’Estonie
Haydn : Symphonie n° 73 « La Chasse » / Chostakovitch : Symphonie n° 13 « Babi Yar »
8 et 9 février 2019 – 20h
Strasbourg – PMC – Salle Érasme
www.philharmonique-strasbourg.com/affiche_concerts.php?mois=201902
Photo © Dan Cripps
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