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Une interview de Robin Pharo, violiste et directeur de l’ensemble Près de votre oreille – « La découverte de la musique de Robert Jones a provoqué un déclic »
Comment avez-vous eu l’idée du programme « Come Sorrow » ?
Robert Jones et au centre du projet, même si Tobias Hume en a été le point de départ. C’est grâce à la musique de Hume que j’ai découvert celle de Jones. Son point commun avec Hume est de comporter des parties entièrement écrites pour la viole, chose rare dans le répertoire vocal de cette époque.
Jones est un compositeur bien moins connu que Hume ou Dowland, mais qui a en fait écrit de très belles chansons. Il a même publié quatre livres de Songs, ce qui est beaucoup pour l’époque et laisse supposer qu’il a connu le succès de son vivant. Shakespeare cite une de ses chansons dans la Nuit des rois et le musicien est devenu gentilhomme de la Chapelle Royale en 1612. Reste que c’est un compositeur à propos duquel on manque d’information ; on ne sait pas exactement quand et où il est né par exemple.
Je dois reconnaître que je connaissais relativement mal la musique élisabéthaine – hormis Hume – au moment de la découverte de Jones. Elle aura provoqué une sorte de déclic : je m’extirpais de Hume pour la première fois, chose normale pour un jeune musicien car ce compositeur accompagne les études de tout violiste. En découvrant la musique de Robert Jones, j’ai d’abord été frappé par l’existence de cette partie obligée pour la viole. Ce compositeur aura été pour moi la porte d’entrée dans un univers qui, depuis, ne me quitte plus et a fait naître une passion pour un très riche répertoire de chansons. Les premiers déchiffrages de Jones ont vraiment été fascinants et j’ai depuis j’ai exploré une quantité énorme de musique élisabéthaine.
Robert Jones n’est pas le seul auteur présent sur l’enregistrement, on y trouve aussi Hume, Dowland et Ferrabosco. Comme avez-vous construit votre programme ; celui du concert du 1er avril à l’Athénée sera-t-il identique ?
R.P. : Depuis toujours, quand je monte un programme – c’était déjà le cas pour mes examens au Conservatoire –j’aime que les pièces s’enchaînent naturellement, je cherche à créer une sorte de dramaturgie ; je passe beaucoup de temps à étudier l’atmosphère, la tonalité de chacun des morceaux pour y parvenir. La mélancolie est un thème central pour les compositeurs élisabéthains et il m’a naturellement guidé dans la construction d’un premier programme autour de ce répertoire, d’où le titre Come Sorrow, qui est celui d’une pièce de Jones.
J’ai aussi cherché à mettre en valeur chacun des interprètes : ainsi, dès la deuxième plage du disque, on découvre une pièce pour luth seul de Dowland – une manière de rappeler la place emblématique de cet instrument dans le répertoire élisabéthain, et aussi de mettre en valeur un auteur dont le succès du premier livre de Songs a sans doute facilité la publication de bien d’autres recueils du même genre par la suite. Le programme à l'Athénée sera identique à celui du disque, à ce détail près que viendront s’y glisser deux nouvelles pièces, l’une instrumentale d'Anthony Holborne, l’autre de Michael Cavendish, une chanson absolument sublime.
Des instruments ont été spécifiquement conçus pour le projet « Come Sorrow » ...
R.P. : Au-delà de l’interprétation des pièces, il était pour moi important de retrouver certaines sonorités en utilisant les instruments adéquats. Nous avons fait appel à des luthiers avec lesquels nous travaillons régulièrement, Judith Kraft pour ma part, Maurice Ottiger pour Thibaut. Il s’agissait de construire des instruments typiques de l’époque élisabéthaine : une viole à 6 cordes – les modèles à 7 cordes n’existaient pas encore –, instrument sur lequel s’est construit tout le répertoire soliste de cette époque. Pour le luth, Thibaut joue un modèle renaissance à 7 chœurs, tout aussi classique pour l’époque.
Comment s’est passée la prise de contact avec votre viole à 6 cordes ?
R.P. : On a, malheureusement, l’habitude de travailler le répertoire anglais sur des violes à 6 cordes. Cette corde supplémentaire change complètement l’équilibre de l’instrument lorsqu’on va chercher les cordes graves (on a un la grave avec 6 cordes, un ré grave avec 7). Il faut un temps d’adaptation évidemment, mais il me semble très important d’enregistrer la musique élisabéthaine sur une viole à 6 cordes. A propos des pièces de Jones, a priori les premières pour la viole éditées en Angleterre, on note qu’en plus de présenter une partie polyphonique obligée pour la viole, elles comportent une partie de lyra-viol. Ce terme se réfère à deux choses différentes, qui peuvent coexister : il peut s’agir d’une scordatura, d’une modification de l’accord des cordes – ce à quoi je procède –, mais aussi d’expériences organologiques (un instrument avec des cordes sympathiques, qui a sans doute existé à l’époque élisabéthaine, mais dont aucun exemple ne subsiste).
Quels sont vos futurs projets ?
La musique de Jones et la mise en œuvre du projet « Come Sorrow » ont été une sorte de laboratoire. Ce travail, ces découvertes m’ont passionné et donné envie d’aller plus loin. J’ai en projet une sorte de « Come Sorrow » II, intitulé « Blessed Echoes », qui sera consacré à des chansons à quatre voix. Les lute songs à quatre chanteurs sont extrêmement courants et on ne les connaît souvent qu’a une voix, ce qui prive l’auditeur d’un contrepoint élaboré. Anaïs Bertrand, Paul Figuier, Martial Pauliat et Nicolas Brooymans seront les interprètes de ce programme.
Propos recueillis par Alain Cochard le 13 mars 2019
(1) 1 CD Paraty 138245
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