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Esa-Pekka Salonen inaugure le Sinfonia Grange au Lac en clôture des Rencontres Musicales d’Evian 2018 – Strauss et Beethoven, à la source – Compte-rendu
Sur les hauteurs arborées d’Evian, surplombant le Lac Léman, se cache une grange, véritable cathédrale de bois de plus de 1100 places. Ce lieu, magnifique écrin dédié à Mstislav Rostropovitch, fête cette année ses vingt-cinq ans. Outre la résidence de l’Orchestre des Pays de Savoie, la saison de concerts de la Maison des Arts du Léman, la Grange au Lac en 2018 n’abrite plus seulement un Festival, mais quatre, pareils aux volets d’une saison musicale : le Piano du Printemps, les Voix de l’automne, le Jazz de l’hiver et les Rencontres (d’abord chambristes) de l’été, relancées en 2014 par le Quatuor Modigliani. Toute cette riche vie artistique a pour ambition d’être accueillie, non seulement sous le même toit, mais sous une même appellation. Ainsi, la Grange n’est plus seulement une salle de concerts, mais « une véritable institution musicale en devenir », comme le souligne son directeur artistique Philippe Bernhard.
La Grange au Lac © Matthieu Joffres
La naissance d’un nouvel orchestre symphonique ne peut être qu’une fête et une chance aujourd’hui. Pour leur soirée de clôture, les Rencontres Musicales d’Evian osent voir grand : invitation de l’un des meilleurs chefs d’orchestre actuels (le meilleur ?), Esa-Pekka Salonen, à qui revient de porter sur les fonts baptismaux le Sinfonia Grange au Lac, composé exclusivement de solistes des meilleures phalanges européennes (Mahler Chamber Orchestra, Philharmonique de Radio France, Orchestre de Lucerne, etc.). Cette nouvelle formation a l’ambition de se retrouver autour des plus prestigieuses baguettes internationales avec des projets musicaux d’ampleur et de se pérenniser.
Au programme de ce concert inaugural, les Métamorphoses de Richard Strauss et la Symphonie « Héroïque » de Beethoven, deux œuvres majeures, composées à près de cent cinquante ans d’écart, la première citant la seconde, hommage discret de Strauss au plus grand symphoniste de l’Histoire de la musique.
Esa-Pekka Salonen © Aline Paley
Quoi de plus approprié que l'ouvrage de Strauss dans la merveilleuse acoustique de la Grange ? Pourtant les Métamorphoses – sous-titrées « étude pour vingt-trois cordes » – peuvent vite devenir labyrinthiques et nous perdre. Salonen s’empare de cette polyphonie touffue, complexe, polymorphe et mouvante et nous montre le chemin. Il avance avec souplesse, clarté, limpidité même. Jamais le drame ou la noirceur ne sont accentués, jamais de pathos inutile. Salonen modèle de ses mains les tempi et les dynamiques avec une intelligence et une musicalité hors du commun. Les vingt-trois solistes sont à découvert dans cet écrin de bois où tout s’entend jusqu’au moindre détail. Quelques micro-imprécisions de justesse, à peine audibles, notamment au démarrage, ou d’homogénéité à quelques rares moments viennent rappeler que la musique est un art du temps, que la perfection, même avec les meilleurs, n’existe pas. A ce niveau d’interprétation et d’exécution, c’est la magie du spectacle vivant que l’on retient.
Salonen démarre dans un tempo particulièrement lent qu’il échauffe très progressivement jusqu’à l’apogée de cette grande forme en arche, qui nous prend littéralement à la gorge. Transcendance. Les musiciens suivent les intentions du chef, concentrés… On est subjugué par la sonorité et la sobriété du jeu du Konzertmeister, Gregory Ahss (Premier violon de l’Orchestre du Festival de Lucerne), mais aussi de l’alto de Grégoire Vecchioni (membre de l’Orchestre National de l’Opéra de Paris) ou encore du violoncelle de Christophe Morin (violoncelle solo du Mahler Chamber Orchestra).
Salonen détend et retient lentement la redescente : citation de la Marche Funèbre de l’ « Héroïque », avant d’éteindre le son jusqu’au parfait silence, qui met quelques longues secondes à se rompre, laissant le public en apnée avant un tonnerre d’applaudissements. Exceptionnel. On sort des Métamorphoses « rincé » et heureux de pouvoir prendre une bouffée d’air frais dans la belle nature et les lumières du soir.
© DR
Plus classique, l’ « Héroïque » est une composition parfaite pour découvrir le son d’un nouvel orchestre, surtout quand ce dernier est dirigé par Salonen. On est curieux de savoir ce qu’il en ressort… Beethoven classique ? romantique ? Moderne, évidemment ! Phrasés nerveux du premier mouvement, mais jamais secs, le baroque en héritage mais sans ses inconvénients, une Marche funèbre conduite avec souffle et ampleur dramatiques, un Scherzo presque spatialisé entre profondeur de champ et clarté du premier plan (mention spéciale au pupitre de cors, enlevé par José Vicente Castello Vicedo du MCO, sonorité magnifiée dans cet espace de bois), brillance et engouement du Finale, impeccable. On célèbre bien ce soir les Lumières, l’héroïsme d’un grand homme, quel qu’il soit.
Salonen exprime d’abord la structure de l’œuvre, son architecture, la musique jaillit à sa source et se déploie avec évidence et simplicité, jusqu’à son but ultime.
Après une semaine de concerts et de belles rencontres autour des Quatuors Hagen et Modigliani, du Trio Zimmerman, de solistes tels que Daniel Lozakovich, Nicolaï Lugansky, Svetlin Roussev, James Ehnes, Adrien La Marca, Victor Julien-Laferrière, Alina Pogostkina, l’inauguration du Sinfonia Grange au Lac conclut en beauté les Rencontres 2018. On murmure le nom d’un autre très grand chef pour l’an prochain. A suivre ...
Et surtout, que tout cela ne fasse pas oublier le talent et le formidable travail des Modigliani, qui font vibrer Evian de musique et d’humanité.
Gaëlle Le Dantec
Evian, La Grange au Lac, 7 juillet 2018 // lagrangeaulac.com/
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Concert diffusé en direct et disponible en streaming sur Radio Classique
Concert diffusé en direct et en replay sur medici.tv
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