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Cendrillon de Nicolas Isouard à l’Opéra de Saint-Etienne – Charmeuse résurrection – Compte-rendu

La Biennale Massenet n’existe plus, mais le travail de l’Opéra de Saint-Etienne sur des pans méconnus du répertoire lyrique français se poursuit, tout comme le soutien que le Palazzetto Bru Zane a apporté très tôt à la scène stéphanoise. La collaboration du Centre de musique romantique française de Venise avec une maison d’opéra dont l’inventivité et le dynamisme ne sont plus à dire aura doublement fait le bonheur des curieux cette saison. Deux mois après le Dante de Benjamin Godard – admirable partition à ranger parmi les plus séduisantes redécouvertes du PBZ dans sa collection Opéra Français (1) –, c’était en effet au tour de la Cendrillon de Nicolas Isouard (1773-1818) de renaître.

Singulier parcours que celui d’un artiste né à Malte qui, après avoir hésité entre les armes, le commerce et la banque, se tourna vers la musique et fut formé à Palerme puis à Naples. De retour sur sa terre natale, Isouard fit représenter son Barbiere di Siviglia au théâtre de La Valette en 1796. Deux ans donc avant l’arrivée des Français, événement qui lui valut d’être repéré par le général Vaubois, commandant de l’île(2). Saisissant l’occasion, Isouard prit en 1799 le chemin de Paris où l’amitié et le soutien de Rodolphe Kreutzer lui permirent d’entamer une belle carrière dans le domaine de l’opéra-comique, collaborant en particulier avec François-Benoît Hoffmann et Charles-Guillaume Etienne.
On doit à ce dernier le livret de l’ouvrage qui valut à Isouard l’un de ses plus grands et durables succès : Cendrillon (création le 22 février 1810 à Paris, au théâtre Feydeau). Succès qui dépassa largement la disparition précoce de l’artiste à l’âge de 45 ans, puisqu’en 1845 Adolphe Adam entreprit de réorchestrer l’opéra-féerie en trois actes de son devancier pour sa reprise salle Favart. Saint-Etienne et le Palazzetto Bru Zane on fait le choix de la version Adam pour la résurrection, méritée ô combien !, de Cendrillon.
 

Anaïs Constant (Cendrillon) © Amandine Forbin - Opéra de Saint-Etienne

Sur l’excellent livret (d’après le conte de Perrault) d'Etienne, Isouard a imaginé une partition extrêmement variée, rythmée, fluide, portée tant par le charme mélodique que la qualité des dialogues. Cendrillon n’est pas donnée dans son intégralité à Saint-Etienne ; les chœurs ont été supprimés et certaines coupures effectuées : il fallait tenir en une partie et un format de 90 minutes et, partant, répondre aux impératifs d’un spectacle qui visait largement le jeune public. On lui a fait là un très beau cadeau ! A la mise en scène, Marc Paquien continue sur la lancée de son remarquable Mondo delle luna au Conservatoire National Supérieur de Paris en début d’année et, avec le concours d'Emmanuel Clolus (qui a imaginé un astucieux décor rotatif en escalier), Claire Risterucci (costumes) et Dominique Bruguière (lumières), signe une production dont la simplicité, la vie et l’énergie s’accordent idéalement à l’esprit de la partition.

Riccardo Romeo ( Le Prince Ramir) & Jérôme Boutillier (Alidor)

M. Paquien aime à travailler avec de jeunes chanteurs ; il a su tirer le meilleur de ceux réunis à Saint-Etienne. Voix souple, claire, chaleureuse, diction remarquable (comme d’ailleurs l’ensemble du plateau), Anaïs Constans offre une Cendrillon au grand cœur – « bonne, donc modeste, vertueuse » – touchante et attachante. Face à elle, les deux sœurs, Clorinde (Jeanne Crouseau) et Tisbé (Mercedès Aracuri), forment un parfait tandem de pimbèches dont la santé vocale resplendit dès le duo « Ah quel plaisir ». Riccardo Romeo – le ténor tenait le rôle d’Eccletico dans Il Mondo della luna au CNSMDP en janvier – compose un Prince Ramir plutôt tendre, très « prince de conte ». Jérôme Boutillier met sa voix riche, longue, épanouie au service d’un noble et humain Alidor – un magnifique baryton a suivre de très près !  Quant aux comédiens Christophe Vandevelde et Jean-Paul Muel, ils sont respectivement L’écuyer Dandini et le Baron Montefiascone, tous deux impayables d’abattage et d’efficacité comique.

Julien Chauvin © Franck Juery

En fosse, Julien Chauvin mène l’Académie d’orchestre du CRR de Saint-Etienne, encadrée par les Solistes de l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire, avec un chic, une vivacité, un esprit et une tendresse qui n’étonnent guère de la part de ce fin connaisseur du répertoire français. Et comment ne pas s'avouer très admiratif de la qualité de la prestation d’instrumentistes dont le plus jeune n’a guère plus de 13 ans – chapeau !
Vous avez manqué les représentations de  Saint-Etienne ? Rassurez-vous, des reprises de Cendrillon sont prévues à Caen, Massy et à Paris (Athénée) ; les dates restant à déterminer.

Après Dante et Cendrillon, Saint-Etienne finit la saison avec un autre ouvrage français, illustre celui-là : Carmen. La partition de Bizet sera donnée les 12, 14 et 16 juin, avec Isabelle Druet dans le rôle-titre, sous la direction d’Alain Guingal et dans une mise en scène de Nicola Berloffa (3)
 
Alain Cochard

(1) Avec Edgaras Montvidas, Véronique Gens, Jean-François Lapointe, Chœur de la Radio Bavaroise, Orchestre de la Radio de Munich, dir. Ulf Schirmer (PBZ/Opéra Français)

(2) Pour une courte durée puisque les Français capitulèrent face aux Anglais le 3 septembre 1800
 
(3) www.opera.saint-etienne.fr/otse/saison-18-19/saison-18-19//type-lyrique/carmen/s-497/
 
Nicolas Isouard (orch. Adam) : Cendrillon, opéra-féerie en trois actes – Saint-Etienne, Opéra, 5 mai 2019
 

Photo © Amandine Forbin - Opéra de Saint-Etienne

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