Jean-Baptiste Monnot au Musée du Louvre – L’Orgue du Voyage sous la Pyramide – Compte-rendu

Michel ROUBINET

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Jean-Baptiste MONNOT

Boris WINTER

Nicolas WATTINE

Céline MARTEL

Victorien DISSE

Inventeur de génie commémoré cette année à travers le monde entier, et en particulier au Louvre, Léonard de Vinci aurait-il pu également concevoir… l'Orgue du Voyage ? C'est le 27 avril 2019 à Saint-Eustache, à l'issue de l'hommage à Jean Guillou (1), qu'une idée a pris forme à l'initiative du directeur délégué de la Société des Amis du Louvre, Sébastien Fumaroli, conversant avec le titulaire du Cavaillé-Coll de Saint-Ouen de Rouen, Jean-Baptiste Monnot, dont l'Orgue du Voyage trône dans la chapelle d'axe de l'imposante abbatiale normande. Le projet fut aussitôt conforté par une visite à Rouen pour découvrir l'instrument singulier : l'Orgue du Voyage serait dès lors invité à déployer sous la Pyramide du Louvre la mouvante architecture, si picturale, de ses différents modules, l'esthétique de la disposition participant de la restitution sonore propre à chaque situation. L'événement choisi – Léonard en tête-à-tête – fut la soirée des Amis du Louvre du 17 décembre célébrant la restauration de la salle des États, où la Joconde bénéficie désormais d'une présentation plus favorable.

Céline Martel & Victorien Disse © Mirou

Accueilli en haut de la Pyramide vers 18 heures aux accents du Prélude et Fugue en la mineur BWV 543 de Bach emplissant et montant de manière étonnante dans l'immense espace, le public put entendre Jean-Baptiste Monnot jouer presque sans interruption jusqu'à 23 heures (!), mais également gagner, outre les salles des Sept-Mètres, Mollien et Daru spécialement ouvertes pour la circonstance, et via la Grande Galerie, la salle des États aux murs revêtus d'un bleu soutenu : installés devant Les Noces de Cana de Véronèse, deux duos (en alternance) violon et théorbe : Boris Winter et Nicolas Wattine, Céline Martel et Victorien Disse, y firent entendre Kapsberger, Merula, Fontana ou Castello, mais aussi Monteverdi, ainsi, au gré de la déambulation entre Les Noces et la quasi-table de communion en arc-de-cercle disposée devant la Joconde, la canzona de 1624 Si dolce è 'l tormento.

Bach constituait le socle du marathon de Jean-Baptiste Monnot, avec ce que le Cantor a créé de plus monumental pour l'orgue : Préludes et Fugues en mi mineur BWV 548, si mineur BWV 544, ré majeur BWV 532 et mi bémol BWV 552 (Clavierübung III, plus deux grands chorals, BWV 684 et 688 – et deux du recueil de Leipzig, BWV 654 et 659), Fantaisie et Fugue en sol mineur (deux fois !) – mais aussi Fantaisie chromatique et Fugue pour clavier BWV 903, Concertos d'après Vivaldi BWV 593 et 596, divers Contrepoints de L'Art de la Fugue, Sinfonia de la Cantate BWV 29 ou encore l'ébouriffante Sonate en trio de L'Offrande musicale transcrite par Jean Guillou, également donnée intégralement à deux reprises (l'individualisation des parties bénéficiant du positionnement physique des modules), la seconde enchaînant sans coup férir sur la version syncrétique de la Fantaisie et Fugue sur BACH de Liszt, version Guillou – dont Jean-Baptiste Monnot joua par ailleurs l'adaptation pour ainsi dire inhumaine de l'Adagio et Fugue (chaînes de trilles aux pieds !) en ut mineur K 546 de Mozart, au côté de la Fantaisie en fa mineur K 608. Sans oublier maintes pages de Schumann, Brahms, Messiaen, Guillou ou la vertigineuse Toccata de Prokofiev transcrite par le maître de Saint-Eustache, ainsi que de jubilatoires improvisations de Monnot lui-même.

Autant d'occasions d'entendre les multiples facettes de l'Orgue du Voyage, déclinaison plus modeste de l'« Orgue mobile à structure variable » (2), projet monumental de Jean Guillou non moins réalisable, mais pour une autre logistique. L'acoustique de pierre et de verre de la Pyramide favorisait certes harmoniques aigus et mutations, d'autant que les jeux de fond – assise ou fondamentale de la sonorité d'ensemble – demeurent par la force des choses le (très relatif) « point faible » de ce prototype, pour d'évidentes questions d'encombrement de la tuyauterie, de manipulation et de transport, problématique optimalement résolue par l'harmonisation proprement dite de la palette, inlassablement peaufinée au fil des ans. Soit la preuve, au cœur même de Paris et hors des églises, que l'orgue à tuyaux repensé en termes résolument contemporains peut aisément investir les lieux les plus improbables, pour un résultat, outre l'extraordinaire performance de l'interprète, authentiquement musical.

Michel Roubinet